Naviguer dans les relations lorsque les enfants sont pris en charge hors du foyer familial
Un groupe narratif et un projet communautaire
pour les parents dont la vie est affectée par l'intervention de la protection de l'enfance et le retrait de leurs enfants
par Lauren Graham
Traduction Catherine Mengelle et Sandrine PELLIER
Introduction par Sandrine Pellier
Lauren Graham, psychothérapeute et travailleuse sociale en Australie, livre ici un témoignage complet et riche d’un accompagnement fondé sur l’approche narrative mené avec beaucoup d’humanité auprès de parents déchus de leur parentalité.
En juin 2024, La Fabrique a été sollicitée pour former une équipe de travailleurs sociaux agissant dans la protection de l’enfance à Dieppe. C’est dans ce cadre là que j’ai été amenée à rechercher activement d’autres exemples d'accompagnement, d’autres témoignages pour enrichir la formation et être au plus près du public que l’équipe en formation accompagne. Nous partageons ici l’article traduit en français avec l’aimable autorisation du Dulwich Centre. Vous trouverez sur leur site l’article publié dans sa langue originale (The International Journal Of Narrative Therapy And Community Work, 2018, No.1, www.dulwichcentre.com). En espérant que cela continue à vous inspirer !
Lauren vit et travaille à Newcastle, en Australie. Elle est chef d'équipe chez Family Support Newcastle, une organisation non gouvernementale travaillant avec les familles et les enfants. Lauren participe à un groupe local d'action sociale (FISH) qui se préoccupe du nombre croissant d’enfants retirés de leurs familles par l’intervention de l’état et placés en accueil de longue durée, dans la région de Hunter. Elle peut être contactée par e-mail : storiesofdifference@hotmail.com.
Résumé
Cet article décrit un processus de travail de groupe visant à mettre en lumière et à documenter les compétences et les savoirs des parents dont les enfants ont été placés à la suite d'une intervention des services sociaux.
Le groupe travaille sur l’émergence de récits identitaires préférés. Il a été conçu pour permettre aux participants de relier leurs récits à ceux d'autres parents confrontés à des situations similaires et pour faire connaître le travail d'une organisation locale développant des pratiques d'inclusion familiale. Les parents ayant participé à ce groupe ont pu identifier ce qu’ils devaient entreprendre pour remédier aux actes et aux idées ayant conduit au retrait de leurs enfants et ce faisant, développer des pratiques de soin et de protection vis-à-vis d’eux.
Mots clés : documentation, permettre la contribution, travail de groupe, métaphore du voyage, parents, intervention des services sociaux, cérémonie définitionnelle, externalisation, absent mais implicite, re-authoring.
Contexte
J’ai occupé pendant ces trente dernières années différents postes auprès des enfants, des jeunes et des parents¹ dans le secteur non gouvernemental à Newcastle, en Australie. Pour garantir leur sécurité, j’ai parfois été conduite à intervenir et à retirer les enfants, niant aux parents la possibilité d’un accompagnement. En travaillant avec ces parents qui ont perdu la garde de leurs enfants, j’ai constaté les effet systématiques d’un regard négatif sur leur perception d’eux-mêmes en tant que parents. Le malaise des enfants était souvent vécu comme le reflet direct de leurs échecs en tant que parent. J'ai également souvent vu des parents agir d'une manière qui ne correspondait pas à ce qu’on attendrait d’un parent maltraitant ou incompétent. Ces expériences m’ont montré les effets de descriptions mono-récits de parents n’ayant pas été en mesure d’assurer une sécurité adéquate à leurs enfants et comment ces récits peuvent affecter leur sens d’eux-mêmes et leur perception de leurs compétences et savoirs parentaux. Elles me rappellent également que sans le soutien avisé de mon partenaire et d’amis et membres de ma famille sur qui je pouvais compter, j'aurais pu moi aussi mettre mon propre enfant en danger à une époque où j’ai terriblement souffert du manque de sommeil.
Ce n’est pas un hasard si la majorité des parents dont la vie est affectée par l’intervention des services sociaux ont également été victimes de maltraitance ou de négligence dans leur enfance et ont été placés. Parmi ces parents, certains groupes sont surreprésentés : les familles aborigènes vivant avec les effets persistants de la génération volée ; les femmes victimes ou ayant échappé à la violence domestique ; les adultes vivant avec un handicap ; les personnes souffrant d’addictions et/ou de problèmes de santé mentale suite à un trauma ; les personnes vivant dans la pauvreté et l’isolement social. La Nouvelle-Galles du Sud est actuellement confrontée à une crise caractérisée par la croissance constante des taux de retraits et de placements d'enfants. La région Hunter, dont Newcastle est la capitale régionale, présente les taux les plus élevés de l'État, avec notamment une surreprésentation des enfants aborigènes.
Soutenir les parents
En 2014, j'ai rejoint un groupe de praticiens et d'éducateurs engagés, le Family Inclusion Strategies in the Hunter (FISH)². À ses débuts, le FISH a travaillé en partenariat avec des parents intéressés dont la vie avait été affectée par une intervention des services sociaux, ainsi qu'avec des familles d'accueil. Sa mission et ses activités s’appuient sur des actions orientées usager et sur la recherche de modèles « d'engagement familial » prouvant que « restaurer la sécurité des enfants, restaurer le moral des parents et rendre l’autorité et le pouvoir aux parents et aux familles » ne sont pas des objectifs incompatibles » (Ivec, 2013, p. 13). La mission principale du FISH est d’assurer de meilleurs résultats pour les enfants en défendant un système qui les aide à entretenir des relations continues et significatives avec leurs frères et sœurs, leurs parents et les autres membres de la famille, quelle que soit la durée nécessaire de leur placement.
Dans le cadre de ma contribution au FISH, je rencontre en consultation de nombreux parents qui évoquent leurs expériences de perte de la garde de leurs enfants et la manière dont ils ont survécu tout au long de ce parcours. L'une de ces parents, Kim, a accepté d'être interviewée devant un groupe de praticiens agissant en tant que témoins. Kim a été placée en famille d'accueil dès l'âge de deux ans. Comme beaucoup d’enfants, elle a grandi dans un environnement de maltraitance et se considérait comme « une enfant à jeter ». Elle a développé du mépris pour le système de protection sociale, qui donnait l’impression de se désintéresser de sa vie et de son bien-être. Après avoir entendu les témoins réagir à son histoire, j’ai invité Kim à partager tout ce qui l’avait marquée. Elle a parlé de l’image évoquée par un témoin, Jane, qui avait déclaré : « J’ai vraiment pensé aux kangourous parce que l’énergie des kangourous est très déterminée et ils ne regardent pas en arrière. Ils regardent en arrière pour apprendre mais ils ne reviennent pas en arrière, ils vont toujours de l’avant. Mais ils ont des jambes incroyablement fortes pour se défendre et une ouïe incroyable qui leur permet d’écouter et d’apprendre ». Kim a trouvé cette image profonde. En fait, elle avait à plusieurs reprises cherché réconfort auprès des kangourous après avoir été jetée de chez elle par son partenaire d'alors. Elle a décrit son réveil le matin dans l'enclos arrière, nichée au milieu des kangourous et entourée du halo de leur souffle chaud qui repoussait le brouillard.
Au cours de l’entretien, Kim avait exprimé l’idée de basculer de la colère vers un début de compréhension de la relation qui s’immisçait dans la vie de son enfant à travers la famille d’accueil. J'ai invité les témoins à écrire leurs réponses dans une lettre adressée à Kim, que Kim et moi avons lue plus tard. Voici le témoignage de Jane :
« Mon cœur a été profondément touché par l’idée de basculer de la colère envers les personnes qui s'occupent de votre fille à la reconnaissance et au respect pour l'amour et les soins qu'ils lui ont prodigués ; pour votre capacité à discerner qu'il existe de bonnes familles d’accueil (même si vous en avez connu des moins bonnes) et à être ouverte à entretenir une relation avec eux, car rompre ce lien, comme vous le dites, équivaudrait à rompre avec votre fille. Cela m'a rappelé une pièce lue un jour intitulée Le Cercle de craie du Caucase de Bertold Brecht, dans laquelle deux femmes se battent pour un enfant. On leur dit de se battre pour l'enfant. La deuxième femme est prête à arracher l’enfant au risque de lui faire mal ; alors que sa mère biologique refuse de le faire parce qu'elle, comme vous, aime son enfant et ne veut donc en aucun cas lui faire mal. »
Signé : D'une femme kangourou à une autre, Jane.
En écoutant cette lettre, Kim a été émue aux larmes.
Kim : Je me souviens de l'histoire de ces deux femmes qui se disputaient l'enfant. Mais je l'ai entendue différemment à l’époque. Je suppose que je ne l'ai jamais vraiment regardée comme ça. Passer de cette colère envers les familles d’accueil à la compréhension de ce qu'ils ont fait pour mon enfant.
Lauren : Kim, qu’est-ce qui vous marque plus particulièrement, qu’est-ce qui vous touche précisément en entendant les mots de Jane ?
Kim : C’est le voyage... Je pensais qu’ils se battaient pour garder mon enfant et moi je me battais pour avoir mon enfant et je me disais « c’est désastreux ». J’arrivais à suffisamment me calmer pour me demander : « Veux-tu qu’elle fasse partie de ta vie, qu’elle soit avec toi ou non, ou tu ne veux rien du tout ?
Kim a également parlé de ses expériences d'enfant, avec une mère qui ne voulait jamais la voir. Elle a réalisé qu'elle ne voulait pas que son propre enfant ressente la même chose. Elle a continué en expliquant l’évolution dans son voyage :
Kim : Je me battais toujours pour mon enfant mais avec beaucoup plus de diplomatie et de respect pour elle et pour ses sentiments pour sa famille d’accueil, et aussi pour sa maman. Elle ne les aimait pas eux uniquement et elle ne m’aimait pas moi uniquement. Elle nous aimait tous et je devais respecter cela. Lorsque nous avons appris qu'elle revenait avec nous, j'ai soudain ressenti une grande tristesse pour la famille d’accueil. Au regard du bonheur et de l’excitation, ce sentiment de tristesse était incroyable. Je me suis retrouvée à me demander comment je pouvais éprouver autant de tristesse après avoir ressenti tant de haine et d’animosité, m’être retournée et éprouver aujourd’hui tant de chagrin… C’est génial qu’elle rentre à la maison, mais ils ont construit ce lien, cette connexion. Comment vais-je l’entretenir, le nourrir, pour le maintenir maintenant ?
Lauren : Alors ce chagrin vous a remise en contact avec la valeur des liens, des relations ?
Kim : Oui, Des trucs que je n'ai jamais eus. Comment pourrais-je un jour l'arracher à sa famille d’accueil? Avoir un parent ne suffit pas, surtout s’il décède. Vous n'avez personne. Veux-tu vraiment que ton enfant dépende uniquement de toi ou veux-tu qu’il sache qu’il dispose de soutiens et d’autres personnes vers lesquelles se tourner ? Il m'a fallu beaucoup de temps pour le comprendre.
Lauren: La réponse de Jane vous a donc remise en contact avec le chemin qui vous a permis d’apprécier la famille d’accueil dans la vie de votre fille et ce qu'ils ont apporté à sa vie, en miroir de l’histoire de Brecht ? Est-ce que cette histoire a un lien avec ce que vous évoquez ici ?
Kim : Absolument. Pas besoin de se battre avec la famille d’accueil pour son enfant. Il faut travailler avec le système. Au début, je pensais que je devais aussi lutter contre le système. En fin de compte, il n’a jamais été question de se battre. Il m'a fallu beaucoup de temps pour m'en rendre compte.
Lauren : Que pensez-vous défendre lorsque vous en arrivez à reconnaître la « diplomatie », le « respect de votre enfant » et « elle est aimée de nous tous » et cette idée que nous « avons besoin de plus qu'un seul parent » dans notre vie, nous avons besoin des autres. Que pensez-vous défendre ou dire sur ce qui est vraiment important pour les enfants ?
Kim : On revient au kangourou. Ils travaillent en groupe pour se protéger. On ne voit jamais un kangourou seul. Et si vous en voyez un, vous pouvez être sûre qu’il y en a bien plus pas très loin. Quand vous observez la manière dont ils s’occupent les uns des autres, ce n’est pas une action isolée. Si vous regardez assez longtemps une famille qui va bien, vous verrez qu’elle a des grands-parents, des beaux-parents, des tantes et des oncles – tous ces gens qui font partie de ce réseau qui les aide et qui s’aident les uns les autres.
Lauren : Est-ce que vous parlez de l’importance de la famille, des relations, des liens ?
Kim : C’est l’importance de l’appartenance.
Kim a poursuivi en disant que les réponses écrites évoquaient le sentiment que son chemin « n’avait pas été pour rien ». Un an encore après cette interview, Kim rapporte que le processus et les lettres ont toujours un effet profond sur la façon dont elle se vit et sur ce qu’il lui est possible de faire pour elle et pour ses enfants.
L’histoire de Kim, comme celle de nombreux autres parents, a inspiré la création d’un groupe thérapeutique pour les parents dont les enfants ont été placés, appelé « Naviguer dans les relations avec nos enfants lorsqu’ils sont placés ». Le programme du groupe s’appuie sur une métaphore, celle d’un voyage sur l’océan, conséquence d’une remarque souvent entendue lors des réunions de parents : « au moins, nous sommes tous dans le même bateau ». Cette métaphore a constitué un riche support lors des sessions destinées à explorer les thèmes communs des expériences parentales ainsi qu’une forme de langage autorisant le développement de récits doubles. Le programme explorait également l’histoire des « problèmes et les relations que les gens ont avec les problèmes » (Epston, 2001, p 178) communément rencontrés par ces parents ainsi que les territoires de vie qu’ils souhaitent revendiquer tout au long de ce voyage en protection de l’enfance.
En imaginant ce groupe, j’ai cherché à distinguer son objectif de celui des autres groupes « parentaux ». Les parents confrontés au retrait de leurs enfants sont considérés comme n’ayant pas les compétences et les savoirs nécessaires pour veiller au bien-être de leurs enfants. S’ils sont accessibles, et qu’ils y sont éligibles, les parents sont condamnés par le tribunal à suivre des cours sur l’éducation parentale. Contrairement à ces pratiques orientées sur la déficience parentale, l’objectif de ce groupe était de privilégier et de documenter les compétences et les savoirs des parents dont la vie est affectée par l’intervention des services sociaux et de sauver les territoires identitaires préférés.
L’identité peut être considérée comme un « territoire » de vie. Lorsque les personnes vivent un trauma, et particulièrement lorsque celui-ci est récurrent, il se produit un rétrécissement très important de ce paysage identitaire. Lorsque leur territoire identitaire est si réduit, il devient très difficile pour les gens de savoir comment procéder dans la vie, de savoir comment avancer dans des projets personnels, de réaliser leurs projets de vie. Dans ces circonstances, toutes les choses de la vie auxquelles les gens accordent habituellement de la valeur sont diminuées ou réduites, autant en termes de présence que de signification (White, 2006, p. 27).
Conséquence de ce travail de sauvegarde des identités alternatives, le programme aide les parents à être davantage en lien avec ce qu'ils pourraient faire autrement pour redresser les actes et les idées qui ont conduit au retrait des enfants et pour développer leurs propres pratiques de soin et de protection des enfants.
La documentation des compétences et des savoirs des parents tout au long du programme était double : le cadre juridique de l'intervention légale pour la sécurité et le bien-être des enfants exige de documenter les risques, les preuves d'abus et de négligence, et leur histoire dans la vie des familles. Les parents ignorent toutefois l'étendue de cette documentation. Ils découvrent parfois au fil des procédures judiciaires que leur dossier remonte jusque dans leur propre petite enfance. L’effet de ce type de documentation accroît souvent le sentiment des parents d’être soumis à un examen négatif. White et Epston (1990) ont considéré « le rôle très important que jouent les documents, comme les dossiers, dans les « rituels d’exclusion » modernes » (1990, p. 190). Dans l’intention de contrer les effets de ce type de documentation, nous avons documenté les « compétences et savoirs assujettis et alternatifs » (Epston, 2014, pp. 66-67) du parcours du groupe. En particulier, nous avons consigné des compétences et des savoirs pour naviguer sous contrôle, entretenir des souvenirs et des liens précieux avec les enfants, ainsi que des messages d'espoir.
De plus, nous avons cherché à « permettre la contribution » (Denborough, 2008, pp. 3-4) en reliant les récits documentés des participants à ceux d’autres parents confrontés à des circonstances similaires. Les documents contribuent également au développement par FISH de pratiques en faveur de l’inclusion familiale.
Les participants ont été trouvés grâce à un texte posté sur les réseaux sociaux faisant la promotion des groupes de parents. Comme les parents sont souvent amenés à suivre des cours d'éducation parentale, nous n'avons eu aucune difficulté à susciter de l'intérêt pour ce groupe. Nous avons rencontré individuellement huit parents intéressés avant le démarrage, six parents ont démarré avec nous et cinq sont allés jusqu’au bout. Le groupe a bénéficié de séances hebdomadaires pendant huit semaines. Le format des séances s’inspirait d’un groupe dirigé par Cora et Linnell (1993) : réflexion initiale / question de contextualisation (déconstruction collective du problème) / question introspective / histoire alternative / réflexion finale.
Cela a rendu possible la documentation hebdomadaire des savoirs issus de la co-recherche sur les problèmes et leurs effets, les compétences et savoirs de résistance aux effets des problèmes et de réponse aux problèmes, les descriptions préférées des intentions, des espoirs, des valeurs et des principes de vie des parents, l’histoire de ces éléments dans leur vie, et le développement d’identités préférées en tant que parents.
Les quatre parties qui suivent décrivent les processus mis en place :
Partie 1 : Planter le décor
Avant de démarrer l’intervention, nous avons rencontré individuellement les parents qui avaient exprimé leur intérêt. Nous leur avons expliqué les objectifs du groupe et nous avons introduit la métaphore du voyage sur l’océan. Nous avons effectué des enquêtes initiales sur les espoirs, les rêves, les valeurs, les croyances et les engagements des participants par rapport à leur parcours et à leur participation au groupe.
Au cours de la première séance, nous avons éclairé les objectifs de la documentation des récits préférés et la manière dont ils pourraient contribuer à d'autres communautés et à l'action locale en faveur de l’inclusion familiale. Nous avons discuté des moyens de naviguer sur nos espoirs, nos peurs et nos attentes particulières pour le groupe. Nous avons également souligné notre position éthique en faveur de la sécurité et du bien-être des enfants et posé que la participation à ce groupe ne pourrait pas faciliter le retour de l’enfant.
Partie 2 : Problèmes et relations avec les problèmes
Quatre séances ont été consacrées aux problèmes communs des parents et à leurs relations avec ces problèmes. Nous avions appelé ces séances : La Tempête de Colère / L'Ile du Contrôle / Traverser le Détroit du Chagrin et de la Perte / Décharger le Cargo de la Honte et de la Culpabilité.
Le groupe a voté sur la séquence de ces séances. Chacune de ces séances a donné lieu à une conversation externalisée de groupe (White, 2007), utilisant une « voix collective » (Denborough, 2008), dans l’objectif de déconstruire le contexte social, culturel et politique et les effets des problèmes. Ces enquêtes ont permis d’identifier les discours (y compris de genre) et les pratiques issus de différents contextes qui soutenaient le problème, et comment ceux-ci affectaient les parents, leurs enfants et les relations entre eux.
Pour faire émerger des récits préférés et rendre visibles les initiatives, les parents ont été invités à réfléchir à un effet particulier d’un problème qui aurait pu « les faire dévier du cap » et à partager un moment où ils y avaient résisté. L’idée de « résistance » s’inspire des explorations de White (2000) sur « l’absent mais implicite ».
L'île du contrôle
Lors de la séance Île du contrôle, nous avons invité les parents à identifier un moment où ils avaient résisté à un effet du contrôle en restant connectés à leur propre jugement ou en faisant confiance à leurs propres savoirs. Voici les questions que nous avons posées :
Partagez un moment où vous avez résisté aux effets du contrôle et du jugement, où vous avez utilisé votre propre jugement
Qu'est-ce que vous pourriez apprécier de votre rôle de parent ou de vous-même à ce moment-là ?
Si d'autres avaient pu remarquer vos efforts, que pourraient-ils décrire ?
Comment nommeriez-vous cette compétence ou savoir particulier que vous avez mis en œuvre ?
Un parent a répondu : « Le week-end dernier, nous avons pique-niqué avec les enfants dans un parc avec leurs accompagnateurs. Je savais que chacun de mes mouvements était scruté. Je poussais les enfants sur la balançoire, jouais à des jeux et partageais mon temps et mon attention avec ceux qui le souhaitaient. J’ai décidé de me dire : « Je garde la tête haute ». J'étais fier de la façon dont j'étais avec les enfants. Je me suis dit que je pouvais profiter du temps passé avec mes enfants, être le meilleur possible et en faire un exemple… J’ai remarqué à ce moment-là que je n’étais pas surveillé, j’étais aimé. J'ai remarqué que les seules personnes qui comptaient dans le parc étaient les enfants et mes interactions avec eux. Ce sont des compétences de pleine conscience, de positivité et de pertinence. Rien d'autre n'a d'importance à ce moment-là. C’est le genre d’interaction auquel j’aspire ».
Traverser le détroit du chagrin et de la perte
Lors de la séance « Traverser le détroit du chagrin et de la perte », les parents ont répondu aux questions suivantes :
Choisissez une expérience de chagrin et de perte qui vous a dévasté, fait sombrer dans le désespoir ou donné l’impression d'être battu par les vagues pendant le voyage.
Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment avez-vous réagi, ou comment les autres ont-ils réagi ? Qu'avez-vous remarqué d'autre ?
Lorsque vous réfléchissez à cette expérience spécifique de chagrin et de perte, qu'est-ce qui était le plus important pour vous ? Si le chagrin pouvait parler, que dirait-il de ce qui était précieux, négligé, minimisé ou disqualifié ? À quoi s’accrochait-il ?
Tante Jeanne³ avait la garde parentale de ses deux neveux et de sa nièce lorsqu'ils ont été retirés et placés dans une famille d'accueil. Le plus jeune, Jimmy, avait sept ans et était sous sa garde depuis l'âge de cinq mois. Ils avaient une relation « mère-fils ». Elle dit : « C’est une perte énorme de ne pas participer aux activités scolaires. Je me suis beaucoup investie à l'école en tant que membre de la communauté scolaire. J'allais aux assemblées scolaires tous les lundis matins… Jimmy se produisait sur scène avec ses amis. J’ai pu le voir développer sa personnalité et prendre des décisions. De nombreux amis et des membres de la communauté me racontent maintenant ce qu'il fait à l'école. Ça me manque de les voir monter sur scène, me chercher dans la foule et me faire signe. J'ai perdu une partie de moi lorsque les enfants ont été retirés. Tout le monde à l'école m'appelait Tante Jane, même les professeurs. Comme je n’ai pas le droit d’aller à l’école, je n’entends plus autant « Tante Jane » maintenant ; Je suis juste Jane. Pour moi, le chagrin s'accroche à l'importance d'appartenir. Je suis dans cette communauté depuis 17 ans. Je me suis davantage impliquée dans la communauté grâce à l'école, en rencontrant d'autres mamans et j'ai également un stand sur les marchés locaux. Cela me fait sourire quand j'entends dans la rue les enfants m'appeler Tante Jane. Je ne peux pas être quelqu'un de mauvais et dangereux dès lors que tant d’enfants m’apprécient. »
Ces récits de perte et de chagrin ont été suivis de conversations de re-authoring (White, 2007), qui ont rendu visible la manière dont les parents soutenaient ces intentions, espoirs, rêves, valeurs et croyances préférés.
Partie 3 : Reconquête identitaire
Les trois sessions suivantes étaient centrées sur l’élaboration de conclusions identitaires riches et préférées. Leur nom : Conserver notre position de parent avec nos enfants / Phares de l'espoir / Qui fait partie de mon équipage ?
Conserver notre position de parent avec nos enfants
Lors de cette séance, nous avons invité les parents à partager un moment où ils étaient restés en lien avec leurs enfants. Ils ont été interviewés à l'aide de la carte de re-authoring (White, 2007). Cheryl a d'abord décrit comment elle avait gardé des liens avec ses enfants placés. Elle a réalisé que « s’engager à faire partie de la vie des enfants » était important pour elle.
Lauren : Est-ce que cette façon de rester connectée, de « s’engager », aurait une histoire ?… Peut-être lorsque vous étiez plus jeune ? Pouvez-vous nous parler un peu de cette période ?
Cheryl : Je ne pensais qu’au sport quand j'étais jeune. J’adorais faire du sport. En cours, j’excellais en sport. J’en étais fière parce que ce n’était pas le cas dans les autres matières. J’ai fait les championnats régionaux de trampoline. Je n'ai pas été sur le podium, mais j'étais fière quand même. Et je suis allée aux championnats nationaux de marche. Nous avons marché en groupe et j'étais vraiment bonne dans ce domaine. Nous nous sommes entraînées chaque semaine. J'avais une routine à maintenir chaque semaine pour assurer le niveau de notre équipe. Il s’agissait de la réussite de l’équipe.
Lauren : De quelles autres manières pourriez-vous agir pour « être engagé » avec vos enfants ?
Cheryl : Mon fils fait du karaté. C’est un sport rigoureux comme ceux que je pratiquais avant. Ça marchait bien pour lui mais depuis qu’il a passé un niveau, il a perdu confiance. J’essaie de lui redonner confiance. Je veux apporter mes expériences d'enfant à mes enfants et leur montrer comment travailler en équipe. C’est important de travailler en équipe.
Lauren : Si vous deviez donner un nom à ce type de connexion, comment l’appelleriez-vous ?
Cheryl : Le simple fait d'être là est très important pour mes enfants et pour moi. C’est comme une équipe de supporters, être là à leurs côtés. J'étais là à ses côtés au karaté. J’étais si fière et il est si bon dans ce domaine.
Lauren : Être déterminée à «être là » dans la vie de vos enfants, comme « une équipe de supporters » à leurs côtés, qu'est-ce que cela pourrait suggérer sur vous en tant que parent ?
Cheryl : Je suis forte.
Lauren : Quand vous dites forte, à quel genre de force faites-vous référence ?
Cheryl : C’est le genre de force qui signifie que les enfants peuvent venir me voir pour n’importe quoi. S'ils veulent des conseils, je peux leur en donner. Ils peuvent me demander n'importe quoi. Ils peuvent tout me dire et je serai là.
Phares d'espoir
Lors de la séance sur « les Phares de l’espoir », nous avons utilisé l’imagerie mentale dirigée pour inviter les participants à réfléchir sur le chemin parcouru, personnel et de groupe, en nous appuyant sur la métaphore des « rites de passage » (White, 2002, pp. 15-16). On leur a demandé ce qu’ils avaient retenu, découvert, et ce qu’ils envisageaient pour l’avenir.
Qui fait partie de mon équipage
Lors de la dernière séance, « Qui fait partie de mon équipage », les parents ont nommé une compétence, un savoir , une valeur, une croyance ou un rêve avec lequel ce voyage les avait particulièrement connectés. Ils en ont retracé l’histoire à travers une conversation de re-membering (White, 2007), à partir d’une question d’identité relationnelle :
Qui ne serait pas surpris d’apprendre cela ?
Qui aurait pu prédire cela ?
Partie 4 : Cérémonie définitionnelle
La dernière séance clôturait le voyage par une cérémonie définitionnelle. Cette forme particulière de reconnaissance « offre de façon significative l’opportunité d’être vu pour soi-même, à travers le recueil de témoignages sur sa propre valeur, sa propre énergie et façon d’être au monde » (Myerhoff, 1986). Nous avons invité des collègues comme témoins « initiés » de cette cérémonie définitionnelle (Myerhoff, 1986 ; White, 1995, 2007) et les membres du groupe ont de leur côté invité des personnes qui ne seraient pas surprises d’apprendre leurs initiatives. En soutien, la salle fut décorée de posters extraits de chaque session, ces documentations et autres supports utilisés tout au long du programme. Ces affichages ont incité les membres du groupe à partager avec leurs invités leurs bons souvenirs du programme et l'importance des activités et des réflexions particulières qu’ils avaient vécues. Nous avons commencé la cérémonie définitionnelle en invitant les parents à répondre aux questions suivantes :
En réfléchissant à votre parcours avec le groupe, qu'est-ce qui vous a marqué ?
Qu'est-ce qui a été significatif pour vous, qu'est-ce qui a touché une corde sensible chez vous ou touché votre coeur ?
Quelle différence cela a-t-il apporté à votre voyage ? Qu’est-ce que cela a rendu possible, même si ça vous semble peu de choses ?
Qu'est-ce que vous découvrez ou à quoi vous sentez-vous de plus en plus connecté qui contribue à votre sentiment d'être parent ?
Un parent a répondu ainsi : « J'ai eu les larmes aux yeux en montrant notre travail à mon ami, en regardant ce que nous avions fait, notre voyage, en me souvenant des émotions que j'avais ressenties chaque semaine et comment cela m'avait permis de lâcher prise. C'est pour moi le lien le plus fort. Au début, j’avais dit que je voulais trouver la paix intérieurement parce que j’avais l’impression que ce n’était pas le cas et maintenant je sens que je l’ai trouvée. J'ai commencé à pleurer le jour où nous avons déchargé notre cargaison. Ce jour-là, j'ai senti un poids s'enlever de mes épaules. C’est ça la connexion, savoir ce que nous traversons tous, ne pas juger et savoir que les autres pensent comme vous. Je me sens tellement plus apaisé . Je pense que j’ai pas mal guéri. En faisant ce voyage, on découvre qu’on n’est pas si fou ou si agressif que ça. Ce sont les petites choses que je chéris maintenant. »
Les témoins ont été invités à réagir aux récits des parents sur l’importance de leur voyage. Un témoin « initié » a déclaré : « J'ai cette image d'un très gros navire chargé de charbon et conduit au port par les petits remorqueurs. Le grand navire est celui des services sociaux et chaque petit remorqueur est un parent individuel. Le navire ne pourra jamais accoster sans ces petits remorqueurs. L’histoire de chacun de ces parents est comme un puissant petit remorqueur qui s’unit pour pousser, tirer et manœuvrer ce système dominateur, pour le pousser à faire les changements positifs qu’il a besoin de faire… »
Les documents générés par le groupe⁴
Conseils pour naviguer sous contrôle
L'impact du contrôle sur la vie des parents a été un thème commun tout au long du travail de groupe. Les membres du groupe ont souvent partagé des savoirs durement acquis sur la manière de résister aux effets des systèmes de protection de l'enfance afin d’en minimiser la possibilité de nouveaux jugements négatifs. Par conséquent, il était évident qu’il était important de documenter les conseils très pratiques qu’ils donnaient face au contrôle. Le document que nous avons produit, « Conseils pour naviguer sous contrôle », résume les savoirs « farouchement pragmatiques et dénués de toute honte » (Epston, 1999, p. 142) décrits par Epston dans ses premiers travaux sur la co-recherche (1999).
Des moyens de soutenir les souvenirs précieux et les liens avec nos enfants
Les expériences d’intervention légale, de procédures judiciaires, de système de placement et de contacts contrôlés peuvent diminuer considérablement le sentiment de relation et d’influence des parents dans la vie de leur enfant, ainsi que leur confiance dans leur capacité à prendre soin d’eux. Les questions de réflexion collective et individuelle ont fait ressortir des savoirs particuliers sur la manière de « maintenir sa position » et de « rester en lien » avec les enfants, malgré les circonstances. L'intention de ce travail était de rendre visible la manière dont les parents entretiennent des liens avec leurs enfants malgré l'intervention des services sociaux.
Une femme a dit : « Récemment, mon plus jeune participait à une course de cross-country et il voulait que je sois là pour l'encourager. Mais je n’étais pas autorisée à y être et il était vraiment bouleversé, alors je lui ai dit, fais comme si j'étais là sur le côté et que je te disais "Allez Jimmy, vas-y, vas-y, vas-y, mon champion de cross-country !". Je l’ai vu deux semaines plus tard et il m'a dit qu'en courant, il m'imaginait là et qu’il avait entendu ma voix l’encourageant. Il a dit qu'il avait couru un peu plus vite lorsqu'il avait entendu ma voix. Il a terminé cinquième dans cette course. Je lui ai dit : « Je suis tellement fière de toi ». Cette initiative, encourageant son fils à imaginer sa présence lors d'un événement important pour lui et le lien qui les unit, incarne l'étendue des possibilités de connexion face à une séparation forcée.
Messages d'espoir pour ceux qui pourraient passer par là
Lorsque les enfants sont placés et que les procédures commencent, les parents sont contraints à une longue série (souvent prolongée) d'audiences, de réunions, de tests de dépistage de drogues, de consultations psychiatriques, évaluations, conseils, participation à des programmes parentaux et visites sous contrôle. Ces activités donnent lieu à des documents à côté des rapports et des évaluations des risques, et ces documents sont diffusés au sein des équipes juridiques, des services sociaux et auprès de thérapeutes . Ces documents contiennent invariablement des récits très négatifs des parents, preuve de leur incapacité à prendre soin de leurs enfants et à assurer leur sécurité. Dans ce contexte de contrôle intense, soutenu et négatif, les parents traversent souvent des périodes à la fois de colère et de désespoir . Il peut être difficile de rester connecté à ses objectifs de vie et ses espoirs de changement, quant à son rôle de parent et le retour des enfants.
À mesure que les parents devenaient plus conscients de la façon dont ils avaient résisté aux effets du contrôle et de « l’absent mais implicite » (White, 2000) de leurs expériences de colère, de chagrin et de honte, ils ont développé un sentiment d’initiative personnelle dans leur vie. Ils ont développé une conscience plus grande de leur relation à l'espoir et des possibilités que l'espoir apporte à leur vie. Influencés par la métaphore des « rites de passage » (White, 2002, pp. 15-16), nous avons invité les parents à réfléchir sur des aspects de leur identité préférée qu’ils n’auraient peut-être pas connus s’ils n’avaient pas fait ce voyage. Nous avons utilisé l'imagerie mentale dirigée pour inviter les parents à réfléchir à ce qu’ils auraient aimé savoir lorsqu’ils ont débuté ce voyage, et ce qu'ils souhaitaient que les autres parents, venant tout juste de s’y lancer, sachent. Les parents ont partagé leurs savoirs et leurs espoirs dans un document intitulé « Messages d’espoir pour les autres personnes susceptibles de passer par là ».
Croisement d’histoires et de messages
J'ai été inspirée par le travail décrit par Denborough (2008) et illustré par White (2003), Denborough et ses collègues (2006) et Denborough, Wingard & White (2010), où des cérémonies définitionnelles sont convoquées pour faciliter un « croisement d'histoires et de messages » entre des personnes confrontées à des difficultés similaires. L’intention étant qu’à la fin de l’intervention, les récits préférés des parents et les documentations collectives soient partagés avec d’autres parents confrontés à des difficultés similaires et qu’un échange sur leurs histoires soit facilité dans le but de « permettre la contribution » (Denborough, 2008). Denborough (2008) décrit cette pratique comme un moyen de rassembler les gens autour de « projets sociaux pour le bien général » (p. 66), avec, dans ces actes de réciprocité, la possibilité de « bénéfices thérapeutiques » (Hilker III, 2005, p. .85) pour les parents dont les histoires sont traitées.
Une de ces cérémonies a été organisée avec la communauté des Family Inclusion Networks (réseaux pour l'inclusion familiale) de Townsville⁵ qui a accepté l'invitation. Un des parents de Townsville a témoigné ainsi : « La lecture des mots décrivant les sentiments des gens liés à la Tempête de colère et le Déchargement de la honte et de la culpabilité a vraiment suscité mon intérêt… Cela m’aide à mettre des mots sur ce que j'ai éprouvé, ces sentiments d'isolement et de honte. Lorsque vous perdez votre enfant, vous êtes considéré comme quelqu’un que vous n’êtes pas. La honte affecte tous les membres de la famille et les relations familiales… Quand je les ai lus, je me suis dit : ouah, les autres parents ressentent comme moi. Ce ne sont pas des sentiments inventés… J’ai l’impression de tenir une direction. »
Dans l'entrecroisement des messages, voici la réaction d’un parent de Newcastle : « En entendant parler de ce que vivent d’autres personnes d’un autre état, qui éprouvent les mêmes sentiments, j’ai l’impression qu’ils ont reconnu ce que j’ai vécu et que ce que j’ai partagé les aide. Il s’agit de connexion et de paix intérieure. J’ai l’impression d’aller dans la bonne direction. C’est comme jeter des filets d’espoir, attraper des choses et les partager avec les autres. »
Des consultations ultérieures avec des adultes victimes de maltraitance et/ou de négligence dans leur enfance et/ou qui ont été pris en charge enfant, ont conduit à adapter en partie les enquêtes menées auprès de témoins extérieurs afin d'éclairer les implications sur la vie des enfants. Par exemple, lorsque j’ai sollicité les réactions des témoins, j’ai commencé à demander :
Qu’est-ce que cela pourrait suggérer de la façon dont les parents évaluent l’expérience des enfants et sur ce qui est important pour prendre soin des enfants ?
Selon vous, quand les parents s’expriment ainsi sur l’expérience des enfants, à quoi accordent-ils de la valeur ?
Puis, dans la partie « transport » de l’interview des témoins :
Après avoir écouté les témoins résonner sur vos récits, où cela vous a-t-il amenés, en termes de découverte de savoirs et compétences en lien avec l’expérience des enfants et de la perception de vous-même que vous n'aviez peut-être pas identifiés avant ?
L’adaptation de ces interviews permet de rendre visible d’autres savoirs susceptibles de réparer les actes et les idées ayant conduit au placement des enfants. Ceci est illustré dans l’échange suivant. Sariah⁶, 11 ans, fille d'un collègue chez FISH, a accepté une invitation à répondre au livret Messages, histoires et conseils. Sariah a été attirée par l’histoire de Julie, « Faire semblant qu’elle est toujours avec nous » :
« Nous nous levons à 7h30 pour avoir le temps de nous préparer et pour que notre fille s'habille, prenne son petit-déjeuner et se brosse les dents. Nous faisons les sandwichs pour son repas de midi et préparons son petit sac à dos, y compris ses lunettes de vue. Nous marchons jusqu'à l'école où nous arrivons à neuf heures moins cinq et imaginons que nous l’accompagnons jusqu'au portail. Sur le chemin du retour, nous faisons un petit pique-nique et mangeons les sandwichs. Dans la journée, nous prenons soin de parler d'elle : « Je me demande ce qu'elle fait aujourd'hui à l'école... ». À trois heures moins vingt, nous allons à l'école à pied pour y être à trois heures moins cinq, en imaginant que nous venons la chercher. Il s’agit de garder une routine et de conserver la vision de l’éducation. Nous voulons que notre enfant ait de meilleures opportunités. Routine et éducation vont de pair. »
Voici ce qu’a dit Sariah en retour : « J'aime l'histoire de la routine avec l’école. J'aime la façon dont les parents font tout pour l'enfant même si l'enfant n'est pas sous leur garde. En gardant cette routine, ils ne perdent pas leurs capacités et n’oublient pas l’enfant. C’est aussi comme s’ils préparaient le retour de l’enfant. Cela montre que les parents n’ont pas abandonné leur enfant. Notre mère ne nous a jamais abandonnés. Elle est allée en cure de désintoxication et en séances collectives de suivi. Elle est passée de 0 à 100 en changeant sa vie pour nous, ses enfants. Cela nous montre que nous comptions beaucoup pour elle. Maman nous accompagnait à l'école quand nous étions petits, même lorsque nous faisions des crises de colère. Elle se souciait de notre éducation et d'un avenir brillant pour nos vies. Cette routine montre que les parents souhaitent un avenir meilleur pour leur enfant et qu’ils ne commettent pas les mêmes erreurs qu’eux. »
J'ai interviewé Julie à propos de la réponse de Sariah à son histoire :
Lauren : Par quoi êtes-vous attirée ? Qu’est-ce qui vous touche ?
Julie : Comme elle est brillante pour une enfant de onze ans.
Lauren : Cela vous semble important ? Qu’est-ce qui vous touche en particulier dans sa réaction d’enfant de onze ans ?
Julie : J'ai l'impression qu'elle a traversé cette expérience avec sa propre mère et cela me donne une idée de combien elle est attentionnée et compréhensive à l'égard de mes sentiments. Je ressens l'amour qu'elle a pour sa mère dans la façon dont elle comprend mon parcours. Cela amplifie mon impression de me sentir comme une mère et de me sentir plus forte. J'espère que mes enfants sauront que j’ai cherché à devenir une femme plus forte.
Lauren : Quand vous l’écoutiez, quel genre d’image de la vie vous est venue à l’esprit ? Quel genre d’image évoque le sentiment d’être une mère et de se sentir plus forte ?
Julie : C’est comme un cordon ombilical qui relie l’utérus au cœur. C’est un lien avec mon enfant et je ressens toujours mon enfant même si nous ne sommes pas physiquement ensemble.
Lauren : Qu’est-ce que cela pourrait suggérer de ce qui est important pour vous ou de vos objectifs dans la vie ?
Julie : Je suis heureuse de pouvoir accoucher et d'être maman. Aussi combien j'aime le temps passé en famille et avec les enfants. Je veux être en relation avec d'autres femmes et aider les autres.
Lauren : Qui ne serait pas surpris de savoir cela à votre sujet ?
Julie : Ce serait la famille qui m'a accueillie quand j'étais petite. Ils savaient à quel point j’aimais le temps qu’ils nous accordaient, les enfants. Ils étaient altruistes. Les enfants pouvaient jouer après l’école et dîner avant les adultes. C'était l'heure des enfants jusqu'à ce que nous allions au lit. Ensuite, c’était le temps des adultes. Ce souvenir m’est resté et c’est une tradition que je transmets à notre fille.
Lauren : Après avoir écouté les témoins résonner sur vos histoires de vie, où cela vous a-t-il amenée, en termes de découverte de savoirs et compétences en lien avec l’expérience des enfants et la perception de vous-même, que vous n'aviez peut-être pas identifiés avant ?7
Julie : Je pense à l’avenir et à faire partie de la vie de notre enfant, comme m’impliquer dans la cantine scolaire, collecter des fonds et faire partie de la communauté. Nous voulons être des parents dont elle peut être fière et faire l’effort d’être dans sa vie. Nous voulons qu'elle grandisse en sachant que sa mère et son père l'aiment et que nous avons tenu notre promesse de travailler dur et de continuer à apprendre.
Cet échange a fait ressortir un thème commun dans les récits de Sariah et de Julie : valoriser le lien parent-enfant. Pour Sariah, ça a été l'occasion de réaliser et de valoriser son lien avec sa mère. Pour Julie, la réponse de Sariah a peut-être mis en lumière la valeur du lien parent-enfant et le fait de « ne jamais abandonner » un enfant.
Conclusion
Le contexte dans lequel se déroule ce travail est incroyablement complexe. La vie des enfants et de leurs familles est entre les mains des services sociaux. Pour les parents et les familles dont la vie est affectée par ce type de perte et de contrôle, la vie et l’identité sont considérablement diminuées par l’isolement et l’exclusion. Le projet de travail de groupe « Naviguer dans les relations avec nos enfants lorsqu’ils sont placés » cherche à sauvegarder des territoires d’identité privilégiés pour les parents dont les enfants ont été placés. Malgré l’intervention des services sociaux, lorsque les parents éprouvent un sentiment de valeur et d’initiative dans leur vie, il leur est plus facile de remédier aux inquiétudes qui ont conduit au retrait de leurs enfants.
Ce sentiment d’initiative est renforcé par la diffusion des documents produits et par l'échange de messages entre parents et praticiens. Ces parents contribuent significativement , de nombreuses manières différentes, à un mouvement de changement. Ce faisant, les parents et les familles prennent position et expriment l’envie de participer à une réflexion sur la forme des pratiques, des politiques et des systèmes qui ont eu un impact si considérable sur la vie de leurs enfants, sur leurs relations et leur identité. Les documents et les récits de ce groupe continuent de voyager et d’entraîner des effets.
Lauren apprécierait beaucoup que d’autres praticiens et praticiennes narratives, intervenant dans le même contexte, aient plaisir à se joindre à elle pour réfléchir ensemble à d’autres développements possibles.
Remerciements
Je tiens à saluer et à remercier toutes les familles, les enfants et les jeunes gens qui ont généreusement partagé leurs voyages et m'ont aidée à apprécier les nuances de cette expérience au-delà des savoirs experts du secteur et à remettre en question les idées reçues sur les intentions des parents et les désirs des enfants. Ces personnes ont contribué de manière significative au développement du programme de groupe et à la possibilité dans le futur d’entretenir un contexte de pratiques et de politiques d'inclusion familiale afin de lutter contre les taux insoutenables de retraits d'enfants et de placements de longue durée.
Je tiens également à exprimer ma gratitude aux personnes suivantes :
FISH (Family Inclusion Strategies de Hunter)
Amanda Watts (superviseuse)
Nathan Dearing et Shay O'Reilly (co-animateurs)
Parents et bénévoles de FIN à Townsville
Équipes du Soutien Familial de Newcastle.
Merci pour votre soutien, vos encouragements, votre aide et votre contribution à cette initiative.
Remarques
J’utilise le terme « parent » ou « parents » pour décrire de manière générale les adultes qui ont ou ont eu la garde et la responsabilité d’enfants. Cela inclut les parents biologiques, les grands-parents, les proches aidants, les beaux-parents, les frères et soeurs et la famille élargie.
FISH a récemment été constitué en société et se concentre actuellement sur le développement et le financement d'un modèle de plaidoyer par les pairs et d'un programme de formation pour les familles d'accueil. En partenariat avec les parents, FISH a fait des présentations lors de conférences, répondu à des demandes gouvernementales majeures et rencontré des parlementaires locaux et les services de protection de l’enfance. FISH a un site internet, www.inclusionh.org, procurant des informations aux parents et une page facebook qui documente ses activités et prévient des événements à venir. Les missions de FISh sont actuellement exercées par des bénévoles.
Tous les participants sont désignés par des pseudonymes.
Les trois premiers documents décrits ont été rassemblés sous la forme d’un livret au format A5 intitulé « Naviguer dans les relations lorsque nos enfants sont pris en charge : messages, histoires, conseils ». Pour obtenir une copie du livret, s’adresser par email à Lauren.
Les Family Inclusion Networks (réseaux d'inclusion familiale – FIN) sont représentés dans le Queensland, en Nouvelle-Galles du Sud, à Victoria et en Australie occidentale. FIN a été fondée par le Dr. Rosamund Thorpe, professeur émérite de travail social à l'Université James Cook, qui a consacré sa carrière à ce domaine. Celui de Townsville a été le premier à démarrer en 2007. Ce fut une évidence de s’adresser à eux pour savoir si le travail du groupe éveillait leur curiosité.
Sariah et sa soeur ont souvent agi en tant que consultantes auprès de FISH.
Cette enquête sur les « transports » a été adaptée de façon à susciter des compréhensions particulières en matière de compétences et de savoirs, permettant d’apprécier l’expérience des enfants. et leur propre paysage intentionnel.
Bibliographie
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Parliament and child protection offices. It convenes quarterly meetings with parents and service providers. FISH has a website, www.finclusionh.org, with information for parents, and a Facebook page that documents FISH’s activities and notices of upcoming events and issues. FISH activities are currently undertaken on a voluntary basis.
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