Marie Tout Court à la FFPN : un moment de grâce narrative
Nous sommes très heureux de partager ici le témoignage de Pierre Blanc-Sahnoun, bouleversé, comme beaucoup, par le travail de Marie Tout Court. Ce projet, mêlant art, soin et pratiques narratives, fait écho à la formation sur le deuil animée par Catherine Mengelle et à l’article Saying hullo again. À travers la musique et les récits, Marie offre un espace sensible pour dire au revoir… et parfois bonjour à nouveau. Merci à Pierre pour ses mots, et à Marie pour son engagement si profondément poétique et politique.
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Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas sangloté en écoutant une documentation narrative. Et bien hier soir, tout comme la quarantaine de personnes présentes en ligne à l'initiative de la FFPN (qui semble refleurir sous la houlette d'une nouvelle équipe), j'ai été déchiré par le talent et la créativité narrative de Marie Tout Court, chanteuse, musicienne et praticienne narrative.
Marie Tout Court est une artiste engagée qui, depuis plus de 20 ans, met sa voix et sa plume au service des autres. Formée aux pratiques narratives par les Artisans Narratifs, de Natacha Rozentalis (qui animait cette rencontre avec subtilité et sensibilité) et Noëllyne Bernard, elle a créé des ateliers d'écriture en hôpitaux psychiatriques, en prison ou encore auprès d'enfants en difficulté. Son parcours l'a amenée à créer des chansons pour et avec des personnes en situation de vulnérabilité, transformant leurs récits de vie en œuvres musicales touchantes. Elle m'a vraiment rappelé Martine Compagnon, cette Marie qui Court, avec ce mélange de puissance créative et de projet de justice sociale au service des plus fragiles, ce regard droit qui porte la puissance d'une vision.
Le projet "Je me fais la belle", fondé en 2019, est né de la rencontre entre Marie, la photographe Martine Marras et les médecins du Pôle de Santé des Envierges à Paris. Cette initiative artistique et collaborative vise à accompagner les personnes en fin de vie et leur entourage en transformant leurs récits de vie en chansons originales. Ces créations sont ensuite interprétées lors de concerts de restitution ou de cérémonies, offrant un dernier témoignage de soi en musique, puis enregistrées en studio professionnel.
Lorsqu'un médecin prescrit une chanson par ordonnance (car cela arrive de plus en plus souvent), il reconnaît implicitement que les mots, la musique et les émotions soignent... non pas la maladie au stade terminal mais le deuil pathologique, la souffrance traumatique, en donnant la possibilité non seulement de dire bonjour à nouveau (une expression parfois galvaudée même par des narrapeutes expérimentés qui oublient au passage qu'il faut avoir dit au revoir au préalable).
Le résultat : une démarche novatrice qui emmène les pratiques narratives sur un nouveau terrain, celui des soins palliatifs, une délicatesse artistique incroyable dans le recueil de la parole et sa mise en chansons, interprétées par les enfants, les amis, les proches. Une production incroyable dans un studio professionnel. Une dimension sociale assumée avec la gratuité de cette démarche, au prix de nuits blanches à courir la subvention et remplir des dossiers.
Je me posais la question du "trop beau" en repensant à la réflexion de David Denborough lorsque j'avais écrit "La chanson des survivants" au Rwanda en 2011 : "il ne faut pas que tu joues trop bien de la guitare, rien ne doit attirer l'attention sur toi au détriment de la parole des personnes". Mais même si je suis d'accord sur le fond, je pense quand même que la qualité artistique, la proposition du documentaliste, les "bosses", permettent de magnifier et de sublimer cette parole. Comme le disait très justement Olivier Perrin en sous-commission, "les mots du client sont le diamant et notre documentation est l'écrin. L'écrin ne sera jamais plus précieux que le diamant mais il doit le mettre en valeur."
Reste un grand moment d'émotion partagée, le plaisir et la fierté de voir les idées narratives si finement mises en œuvre, et revendiquées par une nouvelle génération talentueuse.
Pierre Blanc-Sahnoun