Le corps, territoire politique et écologique : entre intuition et raison
Ce texte de Laure Maurin, Le corps, territoire politique et écologique : entre intuition et raison, est une prise de position autant qu’une invitation. Il rappelle que nos corps portent les traces des oppressions comme des élans de vie, et que les écouter, c’est déjà résister.
L’Interview du corps, qu’elle a élaborée, est pour moi un outil précieux de transformation, intime, sociale et écologique.
Je suis fière de poursuivre cette voie, qui rend au corps sa voix et sa force.
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L’approche de l’Interview du Corps selon Laure Maurin
Notre corps est à la fois un territoire intime et un espace traversé par des influences politiques et écologiques. Il porte en lui les traces des normes imposées, des oppressions subies, mais aussi la mémoire d’une relation plus profonde et plus ancienne avec le vivant. Lorsque nous écoutons notre corps, nous nous confrontons à une double réalité : celle de l’intuition, qui perçoit des vérités subtiles, et celle de la raison, qui analyse et structure le monde. Albert Einstein distinguait ces deux formes d’intelligence : le mental intuitif, que nous avons tendance à reléguer au second plan, et le mental raisonneur, qui domine nos sociétés modernes. Réconcilier ces deux formes d’intelligence, c’est réapprendre à écouter notre corps pour mieux comprendre notre lien au monde. C’est aussi ce que je propose à travers l’"Interview du corps", une approche qui permet de dialoguer avec nos ressentis corporels pour révéler des vérités souvent occultées.
L’"Interview du corps" repose sur l’idée que le corps possède un langage propre, souvent ignoré au profit du mental rationnel. Cette approche consiste à interroger directement les sensations corporelles, sans chercher à les interpréter immédiatement. En posant des questions comme « Que veux-tu exprimer ? », « De quoi as-tu besoin ? », elle permet d’accéder aux mémoires émotionnelles et aux tensions inscrites dans le corps.
Loin d’être une simple méthode thérapeutique, cette pratique redonne au corps une légitimité en tant qu’interlocuteur et guide vers une meilleure compréhension de soi.
Le corps comme espace de domination et de résistance
Historiquement, les systèmes de pouvoir ont cherché à discipliner le corps : par les normes de genre, par l’industrialisation du travail, par la médicalisation du vivant. Nos ressentis corporels sont souvent réprimés au profit d’une rationalité qui privilégie la productivité et la performance. Cette hiérarchisation entre intuition et raison se reflète dans notre rapport à la nature : l’exploitation des ressources naturelles s’accompagne d’un déni des rythmes biologiques et d’une rupture avec le sensible.
Pourtant, nos corps sont des capteurs sensibles des dérèglements du monde : l’épuisement face aux rythmes effrénés, l’anxiété face à la destruction du vivant, la fatigue d’un modèle économique qui ne respecte ni les êtres ni les écosystèmes. En retrouvant un rapport plus intime et plus incarné avec nos sensations, nous pouvons déconstruire ces logiques et ouvrir un nouvel espace de résistance. L’"Interview du corps" nous invite précisément à cet exercice : en prêtant attention aux tensions, aux douleurs et aux émotions qui émergent dans le corps, nous pouvons mieux comprendre les impacts des structures de pouvoir et initier un dialogue intérieur libérateur.
L’intuition corporelle : une voie vers l’écologie sensible
Là où la raison analyse et découpe, l’intuition relie. Ressentir la douceur du vent sur la peau, l’odeur de la terre après la pluie, la tension musculaire après une journée de stress : autant d’expériences qui nous rappellent que nous faisons partie d’un tout plus vaste. La sagesse du corps, que l’on retrouve dans les traditions somatiques et spirituelles, nous invite à ralentir, à nous accorder aux cycles naturels et à reconnaître notre interdépendance avec la nature.
Cette re-connexion est profondément politique. Elle remet en question l’idée d’une humanité séparée du reste du vivant et propose une écologie du sensible, où l’écoute de soi devient un acte de transformation du monde. Lorsque nous prêtons attention à nos ressentis, nous réhabilitons cette part intuitive que nos sociétés ont reléguée au second plan. L’"Interview du corps" devient alors un outil puissant pour cette re-connexion : en nous permettant d’accéder aux savoirs implicites contenus dans nos sensations corporelles, elle nous ouvre à une nouvelle forme de conscience écologique et sociale.
Vers un équilibre entre raison et intuition
Réconcilier le mental raisonneur et le mental intuitif, c’est reconnaître que la transformation de notre rapport au vivant passe aussi par le corps. La lutte pour une société plus juste et plus écologique ne peut se faire uniquement par des arguments rationnels : elle doit s’ancrer dans une expérience sensible du monde, qui nous rappelle notre interdépendance avec le vivant.
En redonnant sa place à l’intuition, en écoutant nos corps et en respectant leurs rythmes, nous pouvons esquisser une autre manière d’habiter le monde., une écoute profonde de ce que le corps, et par extension la Terre, a à nous dire.
Cette conversation intime avec le corps, nous aide à retrouver une place plus équilibrée dans notre rapport au vivant et aux autres.
Laure Maurin.
Maurin, L. (2024). Quand le corps raconte : La dimension corporelle dans les pratiques narratives. Paris : InterÉditions.