Voyage au Cœur du Courage Managérial
Les autrices :
Séverine Ansart : « Après un parcours de plus de dix ans en tant que manager dans le secteur médico-social, je suis aujourd’hui thérapeute, consultante et formatrice. J’accompagne les organisations et leurs équipes tant d’un point de vue stratégique que sur des dynamiques de groupe ou d’amélioration des pratiques professionnelles. Les principes de l’approche narrative guident chacune de mes interventions ».
Site internet : www.severine-ansart.com ; E-mail : contact@severine-ansart.com ; Tél : 0781475271
Sophie Parisot : « Un temps manager transverse dans une entreprise de logiciel informatique, j’ai eu pour mission de faire travailler ensemble des personnes appartenant à des entités en silo qui ne se comprenaient pas. Mes lectures sur le management et mes différentes formations m’ont permis d’appréhender le management et le leadership comme un travail d’abord sur soi, sur ses valeurs profondes et ses peurs fondamentales. Aujourd’hui coach professionnelle et thérapeute narrative, j’accompagne les managers ainsi que leurs équipes pour construire des relations humaines de qualité. L’approche narrative aide mes patients et mes clients à se reconnecter et honorer qui ils sont profondément pour retrouver leur pouvoir d’agir ».
Site internet : http://www.sophieparisot.com ; E-mail : contact@sophieparisot.com ; Tél : 0627028134
Parution originale de cet article dans la revue Les cahiers de l’actif (N° 580/581, Le courage managérial, p63 à 73, octobre 2024).
Dans cet article, nous avons choisi de traiter le thème du courage managérial sous l’angle de l’approche narrative. Cette approche va nous permettre d’aborder les facettes du courage managérial à travers les histoires professionnelles d’un client que nous recevons en coaching.
L’approche narrative, utilisée aussi bien en accompagnement professionnel qu’en thérapie, avance que les personnes se construisent par des récits de vie, des narrations qui sont des constructions collectives influencées par le contexte social. Elle considère que ces récits que nous produisons à propos de notre vie peuvent soit nous enfermer, soit nous libérer. Elle propose de guider les personnes en explorant leurs récits de vie avec l’objectif de donner plus de relief et de poids à leurs histoires préférées (1). Ce travail aide les personnes à construire une vision d’elles-mêmes qui leur donne du pouvoir afin qu’elles puissent surmonter facilement les problèmes ou les difficultés auxquels elles sont confrontées. A travers cette approche, l’objectif du praticien est d’amener son client à redevenir auteur de sa vie.
Dans cet article, nous partageons le contenu d’une séance avec une directrice générale, que nous guidons afin qu’elle se remémore certains moments de sa carrière où elle a su faire preuve de courage managérial.
Le questionnement proposé permet progressivement d’épaissir, de donner de la consistance aux multiples histoires qu’elle a traversées et où elle a fait preuve de courage managérial. L’invitation dans ces récits des témoins, des soutiens et des personnes inspirantes qu’elle a rencontrées au cours de sa vie est cruciale pour ancrer son témoignage dans les relations humaines.
En effet, l’approche narrative présuppose que le courage managérial n’est pas une valeur en soi mais bien une valeur qui se pense et se nourrit dans les relations que nous tissons et qui enrichissent nos vies.
Voici ci-après la retranscription de l’échange que nous avons eu avec cette directrice générale. Dans une seconde partie, nous en tirons les enseignements s’agissant du courage managérial.
I. Interview
Coach : Quel a été le point de départ de cette situation professionnelle où vous avez dû faire preuve de courage managérial ?
Directrice Générale (DG) : Lors d'un travail sur les délégations au sein de l'association, le président nouvellement nommé a décidé que toutes les décisions du DG devaient être prises collectivement. Cela signifiait que tout devait passer par le comité de direction (Codir), qui comprenait des administrateurs, des directeurs et moi-même. Du jour au lendemain, j'ai perdu tout pouvoir décisionnel. Je ne pouvais plus agir seule. J'ai tenté d'expliquer la situation, en vain. C'était paradoxal : un chef de service avait plus de délégation que la directrice générale ! De plus, il a profité de cette décision pour tenter de faire valider en CODIR des décisions qui allaient à l'encontre des intérêts de l'association et de ses bénéficiaires.
Coach : Quels ont été les effets de cette nouvelle situation sur vous ?
DG : J'ai ressenti une immense déception et un profond sentiment d’injustice. D'une part, il m'avait retiré toute capacité à agir, sans justification. Je n'avais plus qu'un rôle de représentation : j'avais le titre et le statut, mais plus de légitimité. D'autre part, je voyais des années de travail compromises par un seul homme. Cela me révoltait. Je me sentais comme un lion en cage.
Coach : Et quand vous vous êtes rendu compte que vous n’aviez plus de capacité à agir, qu'est-ce que vous avez fait ?
DG : J'ai essayé à plusieurs reprises de dialoguer avec lui, de lui faire comprendre que cette décision était illogique. Mais c'était comme parler à un mur. Il était inflexible, convaincu par ses propres préjugés.
Coach : Comment vous y êtes-vous prise pour faire face à ce mur, à ce président inflexible ?
DG : Il attendait que je me plie à sa volonté, comme on l’attend d’un salarié. Mes collaborateurs m'ont conseillée de céder mais ce n'était pas la voie que je voulais prendre. J'ai choisi de lui tenir tête, un acte à la fois risqué et audacieux.
Coach : Comment vous y êtes-vous prise pour lui tenir tête? Pouvez-vous me donner un exemple ?
DG : En réunion de CODIR, j'ai osé lui dire, devant plusieurs directeurs et administrateurs, qu'il mentait. J'ai rappelé les faits, j’ai argumenté, il ne pouvait rien me répondre. À la sortie, l'un des directeurs m'a avertie : « Faites attention, vous pourriez vous faire éjecter ! »
Coach : Que pensiez-vous de ces recommandations ?
DG: Il avait raison. Je savais que j'étais sur un chemin risqué, que j’étais sur un terrain glissant, mais je ressentais le besoin de défendre ce qui était juste, même si cela me coûtait ma place.
Coach : Qu’est-ce qui rendait cela plus important que de garder votre poste ?
DG : J’avais l’impression de devoir combattre l’injustice, d'honorer ce qui est juste. Je voulais rappeler à chacun qu'il a le pouvoir de changer les choses.
Coach : Qu’avez-vous fait d'autre pour vous opposer à cette situation ?
DG : J'ai alerté les administrateurs présents en CODIR, qui étaient des témoins silencieux. Je leur ai demandé directement s'ils trouvaient cela normal. Une fois qu’ils ont reconnu que ce n’était pas acceptable, les choses ont commencé à évoluer. J'ai également renforcé mes liens avec mes collaborateurs et cherché du soutien à l'extérieur. Ce soutien, bien qu'indirect, était précieux.
(NB : on apprend que le président en question a cessé ses fonctions et a été remplacé. La DG a pu retrouver des délégations et travailler avec la latitude qui lui revient).
Coach : Comment nommeriez-vous ce que vous avez mis en œuvre durant cette période ?
DG : Je l’appellerais « la victoire de l’intérêt supérieur ». À ce moment-là, il ne s’agissait plus seulement de moi mais de quelque chose de plus grand.
Coach : Quels ont été les bénéfices de cette expérience ?
DG : Cela a renforcé mes liens avec certains collaborateurs. L’un d’eux m’a même dit que j’avais été un exemple pour lui. Ma posture à ce moment-là lui a montré qu'il était possible d’agir différemment. Cela m’a aussi permis de me sentir plus forte intérieurement.
Coach : Qu’a-t-il vu en vous à ce moment-là à votre avis ?
DG : Je pense qu’il a vu que l’on pouvait se dresser face à l’autorité, et même que l’on devait le faire lorsque cela est nécessaire. Je crois qu’à ce moment-là il a perçu beaucoup de force en moi.
Coach : Avez-vous d’autres exemples de moments où vous avez agi d’une façon assez similaire dans votre carrière?
DG : Oui, au début de ma carrière, je ne travaillais pas dans le médico-social mais dans la banque. En tant que conseillère patrimoniale, on me demandait de vendre des produits même s’ils étaient inadaptés aux clients. J’ai décidé de quitter cet environnement. Mes collègues m’ont dit qu’ils rêvaient de faire la même chose mais que c’était trop compliqué, difficile ou risqué pour eux. Effectivement, je repartais de zéro, j’ai dû me former à nouveau, j’ai perdu des revenus, je n’avais pas de visibilité sur mon prochain travail. Cette prise de risque pour être plus en accord avec mes valeurs m’a permis de voir plus grand et d’accéder à des postes de direction.
Coach : J'aime bien ces deux histoires… Elles parlent de ne pas se laisser enfermer dans un carcan pour avoir de la liberté… moi je vois la liberté, et vous, vous y voyez quoi?
DG : Oui, elles parlent de liberté et aussi du lien qui nous unit aux autres. J’y vois de la fraternité, dans le sens de faire des choses qui feront grandir et avancer le groupe.
Coach : Vous m’avez parlé de prise de risque, de courage, est-ce qu’on pourrait dire que ça fait partie de vos principes de vie ? Est-ce que ces principes se retrouvent dans d’autres histoires que vous avez vécues ?
DG : Oui, et à mon sens, ce n'est pas assez présent dans notre société. J’ai une autre histoire qui me vient à l’esprit. C'est l'histoire des soignants suspendus. On était concernés en tant qu’établissements médico-sociaux. Au-delà de ce que l’on peut penser de la vaccination Covid et de l’obligation vaccinale des soignants, ce que j’ai trouvé profondément injuste c’est que des personnes puissent se retrouver sans revenu et sans possibilité de travailler du jour au lendemain du fait de leurs opinions. Ce qui m’a choqué, c’est la façon dont on a coincé ces personnes. En cas de refus, non seulement elles perdaient leurs revenus mais en plus elles ne pouvaient pas faire un petit boulot à côté pour subsister. Elles devaient démissionner et faire une croix sur leur carrière et leurs avantages acquis. J’ai trouvé ça inhumain, méprisant et profondément injuste. Alors j'ai essayé de contourner ça juridiquement parlant. Malheureusement, ma proposition n’a pas été acceptée. J’ai appris il y a peu qu’un conseil de prud'homme a jugé que la suspension d'un soignant était injustifiée car cela aurait dû passer par le médecin du travail, seul à même de consulter le statut vaccinal et de se prononcer sur l’aptitude ou non d’un salarié. Ils ont repris exactement les arguments que j'avais donnés à l'époque.
Coach : On dirait que cette fois-ci vos actes de courage n’ont pas eu l’effet que vous espériez. Même s’ils n’ont pas abouti dans le sens que vous souhaitiez, pouvez-vous me parler des effets qu’ils ont eus sur vous et les autres ?
DG : J’ai reçu des appels de soignants suspendus ou non qui m’ont remerciée et m’ont dit combien mes prises de position leur avaient fait du bien. Ils m’ont dit que j’étais la première à faire preuve d’humanité envers eux dans ce contexte-là et ça les a beaucoup touchés. Mais l’effet direct c’est que ça a précipité mon départ, alors que j’aurais préféré que cela se fasse plus tard et dans d’autres conditions. Donc sur moi, ça a eu un effet assez brutal, c’était même assez violent. En même temps, je savais que ça faisait partie des risques. J’ai envie de dire : ça m’a secouée mais ça ne m’a pas ébranlée. Dans le sens où je savais que j’avais fait les bons choix et pris les bonnes décisions. Je n’aurais pas pu faire autrement sinon je n’aurais jamais été en paix avec moi-même. Ça m’a donc donné l’impression d’une page qui se tourne et d’une nouvelle aventure qui s’annonce.
Coach : Dans la façon dont vous évoquez votre départ, vous dites avoir été secouée mais pas ébranlée, j’ai l’impression que vous abordez l’avenir avec confiance. C’est bien ça ?
DG : Oui, complètement !
Coach : Est-ce que vous faites un lien entre tous les actes de courage que vous avez posés dans votre carrière et cette confiance avec laquelle vous abordez la vie après votre départ précipité ?
DG : Quand je regarde tout ça aujourd’hui, j’ai l’impression que toutes ces prises de position, qui me semblaient évidentes mais qui étaient perçues comme « extraordinaires » par les autres, m’ont donné le sentiment que je pourrais relever n’importe quel défi.
Coach : C’est extraordinaire ! Comment avez-vous appris à faire tout ça ? Y a-t-il quelqu’un qui vous a inspiré ou que vous avez vu agir de la sorte dans votre entourage ?
DG : Mon grand-père. Il a caché des armes et deux enfants durant la guerre. Il a pris des risques bien plus importants que moi.
Coach : Comment appelleriez-vous ce que vous avez en commun tous les deux ?
DG : Ça a probablement à voir avec la résistance et l’entraide, la solidarité.
Coach : Si ce courage était plus présent, si la résistance, l’entraide et la solidarité étaient plus présentes, qu'est-ce qu'on pourrait voir ensemble ?
DG : Ce qu'on pourrait voir, c'est finalement un changement dans notre société, une vraie chance d'avoir une vision à plus long terme, quelque chose de plus juste et de plus cohérent. J’ai envie de dire que si le courage était plus présent, on pourrait faire taire les tyrans. Ça permettrait aussi à chacun aussi de devenir un peu fier de lui et de ce qu'il fait ou de sentir que chacun apporte sa pierre à l'édifice.
Coach : Si vous continuez à vous connecter à ça, au courage, à la résistance, l’entraide, la solidarité, à la fierté d'avoir fait ou agi quelque chose, qu'est-ce que ça ouvre comme possible ?
DG : Ce que je me dis, c'est œuvrer pour le bien commun. Donc d'améliorer les conditions de ses semblables et d'améliorer les conditions de vie, les conditions de travail, oui... Je me dis que ça peut enclencher un cercle vertueux.
Coach : Cette idée d'œuvrer pour le bien commun et de développer le cercle vertueux, qu'est-ce que ça pourrait vous donner envie de faire concrètement ?
DG : Ça m'a donné envie de faire de nouvelles formations pour mieux accompagner les équipes et les personnes et les amener à prendre des positions courageuses par rapport à elles-mêmes.
Coach : Et comment pourrais-je vous voir faire ça ? Qu'est-ce que je pourrais voir dans ce que vous faites qui me laisserait dire que voilà … c'est ça ?
DG : Vous pourriez peut-être me voir changer de métier pour me consacrer exclusivement à ça.
II. Réflexions sur le courage managérial
1. L’origine du courage managérial : la valeur blessée
Dans cet échange, le point de départ d’un acte managérial courageux est une situation professionnelle générant un inconfort plus ou moins intense. Dans la première situation, l’inconfort vient d’une impossibilité d’exercer pleinement ses fonctions, la DG est empêchée d’agir. Dans la deuxième et troisième situation, elle est obligée de faire quelque chose de contraire à ses valeurs.
Ces situations inconfortables ont des répercussions concrètes sur la personne qui vit la situation. On peut observer des effets négatifs : ici il s’agit d’un sentiment de déception et également d’injustice. Cela aurait également pu être de la colère. L’émotion qui s’exprime vient faire écho à ce que l’on peut appeler une valeur blessée.
Pourquoi appelons-nous cela « valeur blessée » ? L’émotion exprimée à ce moment-là est une façon de poser une résistance face à quelque chose avec laquelle nous ne sommes pas d’accord. Identifier ce « quelque chose avec laquelle nous ne sommes pas d’accord » permet d’aller vers ce qui est important et qui a du sens pour la personne.
Lorsque la personne exprime une émotion vive contre une situation, c’est une façon pour elle de venir défendre une valeur qui lui est chère.
L’acte de courage managérial arrive rarement en première intention. C’est la défense de la valeur blessée qui met la personne en mouvement et l’oblige à agir. Dans un premier temps, la personne se dirige le plus souvent vers la voie douce : le dialogue, la pédagogie, la communication, l’argumentation, qui, si elle reste vaine, amènera la personne dans un second temps à poser des actes de courage. Dans notre exemple, la DG exprime clairement ses tentatives de dialogue et de pédagogie. Ce sont leurs échecs qui la conduisent à poser des actes de courage.
2. Les actes de courage managérial
Selon Dertert & Bruno, qui ont effectué des recherches durant plus de dix ans dans des centaines d’organisations (2), les principaux actes de courage en milieu de travail sont les suivants :
Tenir tête à l’autorité
S’opposer à un exercice excessif du pouvoir
Sacrifier sa sécurité pour le bien de tous
Mettre en lumière des erreurs
Protéger les plus faibles.
Confronter ses pairs
Se positionner en dehors des attentes des partenaires ou des clients
Accepter de relever un défi professionnel (prendre des responsabilités supplémentaires, conduire un changement difficile, se lancer dans l’entreprenariat)
Dans notre récit, nous retrouvons trois types d’actes de courage : l’opposition à l’exercice excessif du pouvoir, la mise en lumière des erreurs de celui qui représente le pouvoir et la protection des plus faibles.
En plus de poursuivre un objectif noble ou moralement digne (cf. la valeur blessée), les actes de courage managérial comportent une indéniable part de risque. Les risques principaux sont la perte d’emploi, la perte financière et la mise au ban de l’organisation.
Nous observons aussi qu’il s’agit d’actes intentionnels. La personne les réalise de sa propre initiative, ils ne sont pas contraints par un tiers.
Nous nommons ces actes « courage managérial ». L’approche narrative de son côté invite la personne à formuler une nomination qui est la plus proche possible de son expérience. Dans notre récit, la DG choisit de nommer cela « la victoire de l’intérêt supérieur ». Si ce nouveau nom peut nous paraitre éloigné du concept de « courage managérial », il en est simplement l’incarnation. Il représente la matérialisation d’un concept abstrait.
3. Des actes de courage qui produisent des effets à des niveaux multiples
Lorsque des actes de courage dans le cadre managérial sont posés, ils ont des effets aussi bien sur le protagoniste que sur les témoins et également sur l’organisation à laquelle il appartient.
Dans la relation à soi-même, la personne fait l’expérience d’être alignée avec ses valeurs. Elle en tire un profond sentiment de reconnexion à soi qui l’amène à faire l’expérience d’être véritablement elle-même. La personne se sent à sa place et cela vient donner du sens à son rôle. Cela vient aussi renforcer les liens avec ceux que l’approche narrative appelle « les membres du club de vie », c’est-à-dire les personnes qui ont joué un rôle prépondérant dans sa vie et avec qui elle partage des valeurs. Ces personnes peuvent être des êtres vivants ou disparus et également des personnages de fiction.
La personne en sort avec une plus grande estime d’elle-même, le sentiment d’avoir accompli quelque chose de grand ou d’important, une satisfaction personnelle, une meilleure connaissance de soi et de ce qui est important pour elle, ou ce à quoi elle accorde de la valeur.
C’est bien ce dont témoigne la DG lorsqu’elle nous dit « j’ai l’impression que toutes ces prises de position (…) m’ont donné le sentiment que je pourrais relever n’importe quel défi ».
Les actes de courage managériaux ont aussi des effets sur les témoins directs. Dans notre exemple, les actes posés inspirent les collaborateurs, montrent l’exemple, ce qui fait dire à l’un d’eux « tu m’as donné une bonne leçon ». Ils peuvent également avoir un effet réconfortant comme on le voit dans l’histoire des soignants suspendus qui témoignent et disent que « cela leur a fait du bien ».
Ces actes de courage renforcent les liens entre le protagoniste et les témoins directs qui se retrouvent autour de valeurs partagées et non plus autour de « simples » missions professionnelles. Cela vient donner de l’espoir, du sens et permet de montrer l’exemple. Detert & Bruno nous expliquent que les actes de courage managériaux créent un espace d’apprentissage et de croissance, aussi bien pour leurs auteurs, que les témoins et l’organisation à laquelle ils appartiennent.
4. Le courage managérial sous-tendu par les principes de vie
Pour bien saisir la nature du « courage managérial » déployé par notre DG, le coach cherche à épaissir le récit avec d’autres histoires vécues. Les comportements et actions de la DG ne sont pas pris comme des éléments isolés, mais comme des évènements ayant un lien entre eux. En proposant de faire ce lien entre ces différentes histoires, le « courage managérial » de la DG prend une couleur toute singulière. Le lien explicité par la DG s’assemble comme un puzzle pour former un principe de vie. Le principe de vie est en quelque sorte le fil d’Ariane que la DG choisit de poursuivre et qui participe aux choix et décisions dans sa vie. En se reconnectant à ce principe de vie « victoire de l’intérêt supérieur » qu’elle a mis en œuvre à plusieurs reprises, elle retrouve un sentiment de dignité et s’ancre pour redevenir auteure de sa propre histoire.
5. Le courage managérial en tant que valeur relationnelle
Chacun de nous grandit sous le regard des autres. Nos initiatives liées au « courage managérial » sont parfois saluées par notre entourage professionnel ou personnel. Le regard pygmalion nourrit l’estime de soi et permet de prendre confiance pour déployer le « courage managérial ». Parfois, le « courage managérial » a pu être inspiré par une personne d’autorité, un ancien manager ou un pair. Dans les deux cas, le fait d’associer le « courage managérial » à une relation positive et riche permet d’ancrer l’image de cette personne avec la valeur exprimée et de se retrouver dans l’humanité de l’autre. Certaines personnes convoquent parfois ce témoin dans leurs conversations intérieures : Qu’aurait fait X dans cette situation ?
Dans notre récit, la DG inscrit son action dans la continuité familiale, celle de son grand-père.
Les actes de courage qu’elle a posés s’inscrivent dans un tissu relationnel présent et passé. De la sorte, ils activent le sentiment d’appartenance et rendent vivantes les valeurs auxquelles ils se rattachent.
6. Des principes de vie qui permettent la mise en mouvement
Une fois que la DG a exploré les différentes histoires autour du « courage managérial », fait des liens entre ces histoires, identifié les valeurs et les principes de vie, convoqué les témoins, l’image du puzzle devient plus nette et consciente. L’ancrage dans le présent devient alors possible.
Le « courage managérial » n’est plus un concept mais une réalité vécue avec de multiples récits qui nourrissent et enrichissent la vie de la DG.
La mise en mouvement dans « l’ici et maintenant » devient évidente. C’est ainsi que notre cliente peut se projeter dans un changement professionnel ayant plus de sens à la fin de notre échange.
7. Conclusion
L’idée de « courage managérial » pourrait faire peur ou paraitre inaccessible, renvoyant à un acte de bravoure, à un sacrifice, à une vertu des chevaliers. Ce qui précède nous montre qu’il s’agit de quelque chose de plus simple et de plus accessible.
De notre point de vue de praticiennes en approche narrative, le courage managérial n’existe pas en soi et l’on ne peut pas « demander à un manager d’être courageux ». A notre sens, il n’est pas possible d’endosser à la demande l’identité de « manager courageux ».
Le courage managérial est l’expression, l’incarnation, d’une valeur personnelle qui nous est chère. Quand nous parlons de valeur personnelle, nous faisons référence à une valeur qui s’inscrit dans l’histoire de vie de la personne. C’est-à-dire une valeur qui n’est pas théorique ou fantasmée mais dont la personne a fait l’expérience concrète en lien avec d’autres personnes, qui peuvent être des témoins ou des personnes qui lui ont montré l’exemple.
Nous insistons sur la dimension relationnelle de la valeur défendue. En défendant la valeur blessée, sans s’en rendre compte, la personne se met en lien avec son histoire de vie et les personnes qui la composent. Cela vient alors activer le lien relationnel et le sentiment d’appartenance, et ce faisant, cela remet de la continuité. C’est pour cela que la personne se sent alignée et fait l’expérience d’être pleinement elle-même. Elle retrouve une unité intérieure.
Le courage managérial est selon nous l’expression et la défense de valeurs personnelles qui nous sont chères. Cela se traduit par un manager qui agit de façon consciente et cohérente avec ses valeurs.
Ainsi, un probable chemin pour y accéder et le rendre plus présent dans les organisations serait d’encourager et de développer l’authenticité.
Si ce voyage avec nous vous a plu, nous vous proposons de poursuivre l’expérience avec quelques questions qui vous inviteront à explorer votre relation au courage managérial.
Remémorez-vous une initiative que vous avez prise, dans la sphère professionnelle ou privée, et dont vous êtes particulièrement fier
Quel est le contexte, où et quand se déroule l’histoire ?
Quelle était votre intention quand vous avez pris cette initiative ?
Qui était présent à ce moment-là ? Que faisaient-ils ? Quel a été l’effet de votre initiative sur les personnes présentes ?
Qu’est ce qui avait de la valeur pour vous à ce moment-là?
Quel était l’espoir ou le rêve que vous chérissiez à ce moment-là ?
Si cet espoir était réel et toujours présent dans votre vie, qu’est-ce que cela permettrait ?
A quel idéal ou principe de vie auriez-vous envie de le raccrocher ?
Qui partage ce même idéal ou principe de vie ?
Si cet idéal ou principe de vie était plus présent aujourd’hui dans votre quotidien, qu’est-ce que ça permettrait ?
Qu’est-ce que nous pourrions voir ensemble comme scène de la vie courante ?
Qu’est-ce que ça ouvre comme possibles pour vous ?
Qu’est-ce que ça vous donne envie de faire ?
Qu’est-ce que nous pourrions vous voir faire concrètement en lien avec cette histoire ?
Quel titre donneriez-vous à cette histoire ?
Si vous souhaitez partager votre histoire, envoyez-nous un mail à : actif@actif-online.com ou à contact@sophieparisot.com ou contact@severine-ansart.com
1 En narrative, « l’histoire préférée » est une notion essentielle. Il s’agit de l’histoire de vie à laquelle la personne aime s’identifier et qui correspond le plus aux valeurs de la personne, à la place qu’elle a plaisir à occuper dans le monde, à ce qu’elle aime que les autres voient d’elle.
2 « The Workplace Courage Acts Index (WCAI) : Observations et impact », Academy of Management Proceedings 2019, n° 1 (août 2019). « Acts of courage that lead to growth » J. Detert & Bruno, 2021, p 68. JR Detert, « Choosing Courage: The Everyday Guide to Being Brave at Work », Boston: Harvard Business Review Press, 2021