Le suicide, une perspective andine et décoloniale

Notes prises par Catherine Mengelle lors de la conférence de marcela polanco, hébergée par l’école narrative Re-Authoring Teaching de Peggy Sax, le 27 novembre 2025


Dans la culture occidentale, il est tenu pour acquis que la prévention est la première réponse au suicide. La vie doit être préservée à tout prix et la mort empêchée. Or il est utile d’analyser le contexte qui a construit le terme « suicide » : marcela fait la différence entre penser les idées et consommer les idées.

Elle suggère de travailler dans la « zone de contact » où différentes façons de penser et de faire se croisent (sans nier le poids des obligations légales qui pèsent sur les licences des psychologues occidentaux), pour obtenir une pluri-cosmovision sur la vie et la mort. Nos conversations sur le suicide sont des conversations orientées vers des rêves de vie. Une alternative pourrait être de parler de la mort.

Marcela distingue « co-labouring » et collaboration :

Collaboration : partager des objectifs, s’entendre, se rejoindre sur des idées comme la vie à tout prix, idée que la modernité déclare universelle.

Co-labouring : travailler ensemble dans une « zone de contact » pluriverselle (1), sans buts communs ni résultats escomptés, en gardant les différences, sans chercher à se rejoindre à tout prix. Pluri ne signifie pas additif, couche supplémentaire, mais interconnexion des existences. Il ne s’agit pas de multiculturalité (autre idée de la modernité). Cette interconnexion permet de considérer des événements que l’universalisme de la modernité a du mal à reconnaître. La mort par exemple.

La décolonialité permet un dialogue traversant plusieurs savoirs. Dans cette conférence, le cadre en est le « réalisme magique », terme européen inventé par la littérature post-moderne.

Marcela propose d’envisager le réalisme magique non pas sur le plan littéraire mais sur le plan ontologique, comme la description d’une réalité andine, une question d’être. Il s’agit selon elle d’une réalité complexe, pleine de contradictions non réconciliables, d’ambiguïté et de simultanéité, le catholicisme qui coexiste avec la sorcellerie et le spiritisme.

Trois mondes dans cette cosmovision :

  • Le Monde Supérieur (Hanach Pacha) comprend les étoiles, les êtres célestes et dieu

  • Le Monde du Milieu (Kay Pacha) représente la lumière, le monde de la vie humaine

  • Le Monde Inférieur (Uqhu Pacha) représente l’obscurité profonde, le monde souterrain et la mort

Dans les Andes, sentir et penser, c’est la même chose : « sentipensar ». La mort fait partie de la vie : nous vivons constamment dans la mort. Je suis, alors que j’écris, en train de mourir.

L’alphabet et les mots ont destitué tous les autres « mots », ceux du vivant, des arbres, de l’eau, du vent… marcela parle de conversations au-delà du texte.

Le corps, concept biologique, est une notion européenne qui n’existe pas dans ces communautés. Réfléchissez à quelle pourrait être une conversation sur le suicide quand le concept de corps n’existe pas…. Réfléchissez à quelle pourrait être une conversation si les mots n’en étaient pas le centre… Les conclusions ferment tout, il vaut mieux se poser les questions.

En matière de suicide, le pouvoir colonial est à l’œuvre (contrôle du savoir, de l’autorité, de la subjectivité via la racialisation, de l’économie capitaliste). Il est défini par le fait de « se tuer » et est basé sur l’idée du corps. Conceptualiser le corps est nécessaire pour penser le suicide. Tous les savoirs ne sont pas égaux. Les communautés où la notion de corps n’existe pas sont considérées comme des sociétés folkloriques par les sociétés occidentales.

En Amazonie, le mot « suicide » n’existe pas bien qu’il y ait des gens qui se tuent bien sûr. Ils parlent de l’épidémie de la corde. Les anciens, les hommes médecine, les chamans réunissent un groupe pour réfléchir à ce qu’il convient de faire contre cette épidémie. C’est regardé de façon collective, pas individuelle puisque le corps n’existe pas. C’est sans doute que quelque chose ne va pas dans la communauté.

Regardé d’une perspective individuelle au contraire, on parle de faiblesse, de criminalité, d’insuffisance morale, etc.

Ces communautés considèrent un corps collectif. La question est politique, ce n’est pas un problème individuel. Ils peuvent utiliser des plantes médicinales pour soigner la collectivité contre l’épidémie et chasser les mauvais esprits à qui ils attribuent le problème.

Une idée pluriverselle serait d’imaginer des pharmacies avec des médicaments modernes ET des plantes médicinales locales.

Marcela raconte l’histoire de cette femme qui, face à l’oppresseur qui l’a violée et qui veut faire de ses enfants des esclaves, a choisi de tuer ses enfants et de se tuer. Elle dit que ce n’est pas un suicide mais un génocide.


1 Sur le pluriversel, marcela cite l’anthropologue péruvienne Marisol de la Cadena

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