Les folles journées de Nantes - JNF 2024

Une semaine particulièrement riche dans et pour notre communauté narrative vient de s’achever. Pour cette première escale, Olivier Perrin nous partage son carnet de voyage autour des JNF 2024 qui se sont déroulées à la “Manu” de Nantes les 21 et 22 juin 2024. Un aperçu gourmand à partager sans modération. Merci Olivier !

Alexandre


21 juin 2024.

Me voici à Nantes pour les Journées Narratives Francophones : 2 jours remplis d’ateliers et de conférences narratives.

Imaginez 200 personnes, réunies dans un lieu chargé d’histoire, de traditions ouvrières et de luttes sociales : la Manu, ancienne manufacture des tabacs de Nantes ou travaillaient 2000 personnes dont 80% d’ouvrières.

Ce rassemblement fait du bien. Il fait du lien, Il fait chaud au coeur et fait pétiller l’esprit.

C’est un vrai fourmillement d’ateliers et de conférences, illustrant divers aspects des pratiques Narratives francophones. Chaque personne présente a donc vécu des JNF uniques et sur mesure. Avec pour ma part de grandes frustrations car le choix entre plusieurs ateliers passionnants est toujours un déchirement.

Je vous fais part ici subjectivement de quelques fines traces qui m’ont particulièrement touché.

Un passage jusqu’à l’autre rive

Photo : Jardin des Plantes - Nantes, 21 juin 2024

Tout d’abord, Martine Compagnon nous accueille avec une prise de parole apaisante qui honore avec courage et délicatesse la communauté narrative, son ouverture et sa capacité à questionner les privilèges y compris en son sein ! Elle adresse de jolis mots à nos collègues réunis au même moment à Lausanne : “Des personnes magnifiques réunies autour de sujets magnifiques !” Elle aussi dit son espoir, partagé avec les représentants de la Fédération Francophone des Pratiques Narratives, que la division ne fasse pas de dégâts dans notre communauté qui oeuvre ardemment pour que “Les personnes ne soient jamais des problèmes.” On en a tellement besoin, particulièrement en ce moment.

Dina Scherrer, “la coach avec qui on ne se sent jamais nul“ nous partage sa vision de l’oeil d’amour, cette façon de regarder l’autre, bien différente de l’oeil d’expert ou l’oeil arrogant… Illustré par son travail avec des jeunes en difficultés qui ont osé se rêver un avenir en lien avec leurs espoirs. (Le film sera projeté le lendemain)

Julien Betbèze nous parle de l’accordage dans la relation d’accompagnement. Il nous embarque dans le cheminement de la survie vers la vie qui est celui de nombreux patients et clients que nous accompagnons : impossible de résumer ici le propos dense et bien trempé de Julien. Durant les questions, il émeut la salle avec l’histoire d’une jeune fille confrontée à l’anorexie.

Plaintes, cancer et migrations

Photo : sur un mur à Nantes, affiche du Nouveau Front Populaire dans le cadre de la campagne actuelle des élections législatives.

Sur la scène, Bertrand Hénot partage son expérience de l’accueil de la plainte. Il déconstruit la notion de “vider son sac” (illusion cathartique = risque de retraumatiser les gens) et aussi celle de positivité toxique (La positive attitude comme norme comportementale…) Il propose un protocole pour mieux honorer et accueillir la plainte dans nos conversations.

Pour mon premier atelier, Yazied Kei Lanur et Maya Anderson-Gonzáles nous embarquent dans des conversations complètement folles où nous donnons la parole à des objets qui nous touchent ou à des êtres vivants (non humains) qui nous sont proches. J’engage une conversation avec le smartphone de ma voisine qui me permet d’en apprendre beaucoup sur sa vie, son paysage intentionnel et sa vision de la liberté. Puis je fais parler mon chat qui m’apprendra de belles choses sur ma famille et sur moi-même ;-)

Samedi matin, Chloé Renault nous bouleverse avec son témoignage personnel et celui d’un accompagnement de jeunes ados et adultes dont la vie a été percutée par un cancer. Avec ce type de maladie, l’identité vacille, le patient traverse une période de tumultes et la rémission n’est pourtant pas la fin du voyage, mais plutôt le début d’une reconstruction identitaire.

C’est alors Elizabeth Feld nous prend par la main pour nous faire (re)découvrir la notion de migration identitaire, les rites de passage et comment nous pouvons nous inspirer de ces notions anthropologiques dans notre artisanat d’accompagnement.

Les palettes de l’amour en organisation

Je poursuis l’aventure avec cet atelier sur les palettes de l’amour en organisation. Grâce à l’animation sensible de Laurence Jamotte et Émilie Géraud chacun remplit une fiole d’amour. Je repars avec l’idée que l’amour peut être subversif et un excellent déconstructeur d’histoires dominantes. On peut le voir comme une alchimie subtile d’acceptation inconditionnelle et de connexion. Une sorte de potion magique que l’on peut emporter partout avec soi. Je le considère comme une des formes de ce que Julien Betbèze appelle l’autonomie relationnelle : cultiver un lien de qualité et le respect de la singularité et de l’espace propre de chaque personnne.

La Communitas

Photo : un café dans les rues de Nantes

Ma journée se termine par une table-ronde ouverte et participative sur la justice sociale qui est au coeur de nos pratiques.

Pendant cette séquence, toutes les personnes qui le souhaitent viennent au centre du cercle et s’expriment sans être interrompues. Puis d’autres les remplacent. Il n’y a pas de débat, juste ce protocole de parole ouverte, d’écoute et de circularité… C’est alors que je sens se produire le phénomène particulier de la communitas (concept de Victor Turner signifiant : “unis dans la diversité”). À chaque prise de parole nous constatons la très grande diversité des opinions, des approches pour contribuer à “réparer des injustices”, “dévoiler les agissement des privilèges”, “rendre notre accompagnement accessible à toutes et tous”… Certain.e.s osent même questionner la question elle-même, proposer des pistes pour faire société de façon plus juste, revendiquer des positions franchement minoritaires ou dérangeantes, évoquer l’importance de la justice dans leur propre milieu familial… Nous évoquons des sujets rarement partagés en public ; nos politiques tarifaires, nos choix de publics, nos habiletés à donner une place aux voix minoritaires, nos inquiétudes face à la concurrence victimaire, nos doutes aussi, nos peurs face aux clivages politiques irréconciliables et à l’ampleur des discriminations que nous rencontrons. Je fais en public pour la première fois ma déclaration de privilèges… Enfants, personnes âgées, femmes subissant des violences, minorités, personnes précarisés ou racisées, handicap, maladie, genre, orientations sexuelles, détenu.e.s, salarié.e.s aux prises avec le burn-out, la perte de sens, le cynisme, le capitalisme radicalisé… Nos champs d’interventions sont aussi vastes que les problèmes de ce monde !

Et pourtant, au fil du temps, nous sentons comme un calme s’installer dans la grande salle. Les silences deviennent plus denses et plus goûteux. Les problèmes ne disparaissent pas, mais l’idée que nous pouvons tous faire quelque chose commence à circuler. Ces paroles diverses et la qualité d’écoute du collectif m’ont fait me sentir plus connecté et plus vivant. L’espace d’un moment scintillant.

Mais la chaleur vivante que je ressens après ces deux journées, je la dois aussi aux échanges informels pendant les temps de pause, les déjeuners et les soirées. Car ce sont des personnes importantes, membres de mon club de vie professionnel, que j’ai eu la chance de retrouver ici. C’est la grande valeur de cette communauté narrative francophone : réunir des personnes inspirantes, différentes et magnifiques, nous connecter et nous offrir un espace où il est possible d’être soi-même…. Avec toutes les imperfections humaines et la beauté des rencontres fertiles..

Nantes, 22 juin 2024

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