Garder précieusement les rencontres avec des objets
Voici un article où Hervé explore une face particulière du re-membering, cette façon qu’ont les narratifs d’honorer les relations dans leurs conversations. Il me rappelle fortement une conversation à laquelle j’ai assisté avec un oreiller de petite fille ainsi que la lettre que son piano a adressée à une jeune femme, à travers moi. Il fait lien également avec l’expérience de Maya et Zayied (cf. notre blog : Et si les murs pouvaient parler?), et bien sûr avec les trames de conversation de Charlie, la première à avoir fait parler les objets en français !
Catherine
Une caractéristique importante est le fait que certains objets sont une pièce unique, comme on parle d’une chaise bien précise (la chaise). J’ai eu l’exemple d’une guitare, d’une table, d’un canapé. Cela peut être aussi un objet générique (une chaise), avec toutefois un ou des exemplaires un peu plus présents, j’ai eu l'exemple avec l’objet piano, l’objet platine vinyle. Mais cela peut être aussi la combinaison de plusieurs objets (quasiment inséparables), j’ai eu l’exemple de deux bagues. Il existe aussi une autre caractéristique, encore plus présente à notre époque de série d’objets : par exemple une chaise d’un type bien précis qui peut se remplacer si elle reste du même modèle et reste l’objet dont on parle. J’ai eu l’exemple avec un type de téléphone.
Quelques extraits
J’ai mené ces conversations d’environ 40 minutes en ayant préparé une liste de questions mais sans trop m’y attacher, en faisant confiance à ce qui pourrait émerger. Voici un florilège de phrases extraites de ces conversations. Les objets proposés par les différentes personnes sont soit féminins soit masculins, c’est pour cela que dans les phrases suivantes vous trouverez les deux genres :
“C’est assez paradoxal, elle nous a rassemblés sans nous ressembler peut-être.”
“Elle n’a jamais porté sur moi un regard jugeant, fais attention à toi, sans jamais dire bien ou pas bien.”
“Si à la fin de l’année, il meurt, si je dois le changer, il aura eu un beau requiem.”
“J’ai été acheté pour une fois et je ne sors pas souvent de la boîte.”
“Si je la perdais, est-ce que je serais désorienté dans ma vie ?”
“Un deuil frais revisite les deuil passés. J’ai réalisé rétrospectivement que c’était la première personne dont j’avais porté le deuil.”
“Fidèle ? C’est que je vais revenir.”
“Il a vu des choses bien plus loin qu’un être humain, j’adore m’imaginer cela.”
“Elle dit quelque chose de moi.”
“Il m’accompagnait par son absence.”
“Il ne posait pas de questions, juste là, comme une main sur l’épaule.”
“Le piano que j’aurais dû avoir avant, c’est lui qui est investi de toute cette charge de résolution. Il n’est pas venu pour rien et il remplit bien sa mission.”
Voici quelques phrases de restitution en fin d’entretien pour donner une idée de l’intérêt de ces conversations :
“Avoir pu toucher du doigt, en tirant les “petits bouts de ficelles” autour de cet objet, des choses profondes et qui m’ouvrent des portes.”
“J’ai presque envie de jouer un petit peu de piano, on parle de lui, il a peut-être envie de sortir trois notes, je vais jouer pour le remercier.”
“Ça m'a ramené à des souvenirs que je suis content d’avoir revécu dans le détail.”
“Je suis reconnaissant pour les associations qui sont venues, de la gratitude, ma vie est riche, il y a de la beauté.”
“Ca me permet de confirmer je ne suis pas très attaché aux objets.”
“On a pris le temps de saluer ce qu’il peut être comme compagnon.”
Un canevas et quelques questions
Il y a déjà des écrits concernant des objets souvenirs avec un certain canevas (Dire bonjour à nouveau). Je me suis empressé de les utiliser :
Canevas de questions pour un objet souvenir (dire bonjour à nouveau) :
comment l'avez-vous choisi ?
le décrire
a qui appartient-il ?
acquis dans quelles circonstances ?
choix de le garder ?
lieu habituel de l’objet ?
L’objet communiquant
parle de la relation
surpris d’être choisi
que dit-il sur vous ?
Quelle relation dirait-il qu’il a avec vous ?
son évaluation
Vers le futur
dans quelle situation la présence de l'objet serait utile ?
qu’est ce que cela changerait ?
Je me suis bien évidemment permis d’ajouter quelques questions en plus des tissages mis en place avec ce canevas. Si la conversation se présente favorablement, j’ajoute, pour tisser des liens avec des personnes physiques car il me semble essentiel de ne pas laisser la personne s’enfermer dans une relation avec des objets uniquement, certaines des questions suivantes :
A qui avez-vous présenté cet objet ?
A quelle personne vous fait penser cet objet ?
Est-ce qu’il y aurait une personne qui dirait les mêmes choses que vous venez de dire de cet objet ?
Est-ce que vous pouvez me raconter un moment où cet objet a été particulièrement présent ?
Qu’apportez-vous à cet objet dans sa fonction ? dans sa beauté ?
Si j'interrogeais cet objet, que me dirait-il de vous, que vous apprécierez ?
Pensez-vous que cet objet a contribué à la personne que vous êtes aujourd’hui ?
Que penserais cet objet d’avoir été le centre de cette conversation ?
Et à chaque fois, il est utile de demander une forme de justification de la réponse : qu’est ce qui vous fait dire cela ? Comment pouvez-vous le savoir ?...
Vers quoi le résultat de ces entretiens m’amène-t-il ?
Que faire de nos histoires avec nos objets ? C’est cette question qui est passée dans ma tête un jour où des amis vivaient difficilement le fait qu’ils allaient vider une maison de famille suite à un décès. Depuis, j’ai aidé des amis à vider un camion d’objets et de meubles de famille qui ne pouvaient pas être jetés. Mais où les mettre ? Sont-ils vraiment utiles ? En avons-nous besoin ? Peuvent-ils être considérés comme des ressources ? Toutes ces questions qui restent souvent sans réponse, mises à part celles-ci : “on ne peut pas jeter cela “ ou “je ne peux pas m’en séparer !”.
Est-ce que ces objets ont la même fonction que les ruines que l’on visite, témoins de l’histoire passée et que l’on cherche à ne pas détruire en tant que patrimoine ? Est-ce que les histoires recueillies peuvent suffire à garder ce qui est important ?
Je ne doute pas que les histoires suffisent pour une personne ; mais il est peut-être important que l’objet reste pour transmettre physiquement quelque chose à d’autres personnes. Si ces autres personnes ne rencontraient que les histoires, elles ne pourraient sans doute pas se projeter et construire leur propre relation signifiante.
Est-ce que la piste de garder un ensemble d'images est aussi une solution ?
Je n’ai pas de réponse à ces questions, je pense nécessaire de confronter la situation aux cas réels avec toutes ces questions en tête.
Mon idée est de développer une logique de questionnement (voisin d’une carte narrative) permettant d’accompagner les personnes qui ont une difficulté à garder ou à se séparer d’objets. L’objectif serait de recueillir les histoires (préférées) relatives à elles et à ces objets pour les avoir en souvenirs concrets, et pourquoi pas en substitution de l’objet lui-même qui pourrait alors disparaître (ou pas) de leur environnement. Tout en étant conscient que si l’objet reste, il sera aussi question d’une transmission à la génération suivante.
J’ai trouvé intéressant de noter que pratiquement à chaque entretien d’autres objets se sont invités dans la conversation. Cela m’incite à penser que l’expression, dans une conversation, de la relation à un objet amène d’autres relations importantes qui avaient été oubliées et qui réapparaissent. Les conclusions des entretiens me confortent dans l’idée que ces conversations peuvent apporter aux personnes un éclairage sur des choses profondes.
Si vous connaissez des personnes qui seraient intéressées pour être volontaires d’un tel essai d’accompagnement, cela m’intéresse bien évidemment de les aider et qu’ils m’aident par ces rencontres à développer ce type d’accompagnement.