Silence, on externalise !
Voici une très belle expérience d’utilisation de la carte de prise de position (statement of position map, selon Michael White). Christelle a une finesse et une délicatesse de questionnement que j’admire beaucoup. Cette fois, je retiens particulièrement cette question : « Marie, qu'est-ce que cela pourrait nous dire de la manière dont tu aimes mener ta vie ? ». Cela paraît si simple quand on le lit.
Catherine Mengelle
Les pratiques narratives foisonnent de questions puissantes à ouvrir un espace d'intelligibilité permettant aux personnes que l'on accompagne d'entrevoir de nouveaux possibles pour leur vie. Ces questions, sophistiquées, sont très appréciées des clients dont elles nourrissent la réflexivité et des coachs dont elles caressent l'égo, s'entendant régulièrement dire qu'il s'agit-là d'une "très bonne question". "Qu'est-ce que cela pourrait nous dire de ce qui est important pour toi ?" caracole en tête tant elle permet d'armer les clients de riches descriptions d'eux-mêmes.
L'une des questions de l'arsenal narratif restait cependant peu évidente pour moi, d'emblée. A tel point que j'ai songé à l'abandonner de peur qu'elle finisse par m'attirer l'hostilité de certains clients. Avec le temps, pourtant - et la pratique quotidienne - elle est devenue l'une des plus chères à mon cœur d'aidante. Je dois la découverte de son potentiel à mon intérêt pour le minimalisme dans ma fonction de coach :
- Bien sûr que non, Christelle, quelle question !
Ce jour-là, Marie s'agace quand je lui demande si elle est d'accord avec le fait que sa timidité, maladive selon ses termes, qu'elle a nommée "saccageuse de mon travail", lui fasse perdre tous ses moyens, ici, lorsqu'elle présente à ses collègues le nouveau projet de certification qui a légitimé sa promotion interne de responsable qualité, là, lorsqu'elle prend la parole en Codir pour expliquer en quoi les temps passés par les équipes à appliquer telle procédure sont indispensables à leur sécurité.
Lorsque je lui demande si ses mains moites, son mal de ventre et l'impression de se liquéfier devant ses collègues et supérieurs hiérarchiques lui conviennent, elle éclate :
- Tu es sérieuse quand tu me poses cette question ?
M'accrochant fermement à mon siège, je lui réponds que je le suis et lui demande de bien vouloir prendre encore un peu de temps avec moi pour y réfléchir puis me tais à nouveau.
- Il y a que j'ai toujours aimé les actions efficaces mais discrètes.
- Qu'entends-tu par là ? Pourrais-tu me donner un exemple concret, une situation de vie où tu as été dans une action "efficace mais discrète" ?
- Quand j'étais petite, par exemple, j'avais créé pour mon frère, dyspraxique, des fiches et des dessins de tout ce qu'il devait faire du lever au départ à l'école. Ça l'avait beaucoup aidé à développer son autonomie sans que nos parents n'en aient jamais rien su.
- D'accord je comprends un peu mieux ce que signifie pour toi agir efficacement mais discrètement. Qu'est-ce qui te plaît dans cette manière "efficace mais discrète" d'agir ?
- ...Une forme de tranquillité. C'est moins de pression. Je fais aussi comme je le souhaite sans être polluée par des conseils inadaptés qui me feraient perdre du temps, de l'énergie et m'éloigneraient de mon objectif. Je me concentre mieux ainsi. Et puis, je n'ai pas besoin que mes actions se sachent.
- Marie, qu'est-ce que cela pourrait nous dire de la manière dont tu aimes mener ta vie ?
- Que j'aime une certaine part d'ombre et de solitude, je crois. Je n'ai pas nécessairement besoin que mes actions se sachent ou se voient pour m'en satisfaire et c'est vrai que cette timidité même si elle est très handicapante, met une barrière avec les autres qui me protège assez et me permet d'agir à ma manière, selon mes intimes convictions sans avoir à m'en justifier…
Les praticiens narratifs aiment accueillir autrement les résistances des personnes en les regardant comme des révélateurs de valeurs auxquelles elles sont attachées plutôt que comme des freins les empêchant d'avancer. J'observe que la 3ème question de la carte dite "de l'externalisation du problème" est particulièrement révélatrice de cette intention quand le silence vient la ponctuer.
Je mesure à quel point le vide laissé, dans une présence bien réelle mais silencieuse auprès de la personne, lui permet d'évaluer en profondeur les effets du problème qui la gêne et de s'autoriser, même, parfois, à en envisager certains avantages pour la conduite de sa vie.
Ces trésors d'élans, de désirs et d'aspirations mis à jour lorsque la personne est incitée à se positionner avec plus de nuance et de justesse face au problème qu'elle rencontre sans se (la) précipiter vers une réponse convenue pouvant s'apparenter à un réflexe de rejet, nous offre une très belle occasion de tisser serré...Vers une histoire préférée réellement incarnée.
Par Christelle Hide, Du Sens