"Maps" nous parle
Un article de Martine Compagnon.
Chère communauté narrative,
C'est avec beaucoup d'émotion que je m'adresse à vous aujourd'hui. J'ai failli prendre la plume pour vous écrire mais cela aurait peut-être aggravé mon cas, laissant apparaître la lettre, l'écrit comme seuls moyens valables de m'exprimer... Ne pouvant danser devant à vous à distance, je vous prie donc de m'écouter.Hier, j'ai vécu une sensation proche, peut-être, de celle d'une femme ou d'un homme respectable, dont on aurait innocemment montré les dessous.
Tout a commencé lors de la présentation de marcela polanco, qui mettait en lumière la façon dont la pensée eurocentrée colorait sa vision du monde par une prééminence de la technologie, de la raison, de la science. "Connaissance" désincarnée, donc élevée au statut de vérité incontestable...
Par exemple, comment poser un regard critique sur une recherche, une étude, dont on ignore tout des chercheuses ou chercheurs qui l'ont conduite : pas de genre, pas d'âge, pas de spécificité culturelle ou géographique… ? Ce que Gomez Castro et marcela nomment "le point zéro de référence"...
Bref nous parlions, tranquilles, de Dussel, d'objectivation de la subjectivation et de subjectivation de l'objectivation (eh oui !), lorsque Jennifer Fatni a posé une question qui la taraude depuis longtemps... "comment traduire 'unique outcome' ?
"Et là... Bam ! Flottement...
Et dans la réponse de marcela, j'a vu défiler ma vie...Je me suis revu, recueil d'information tout d'abord mis en forme par Michael White, titré "Thérapie pour la Famille et les Enfants", éditée par le Dulwich Centre 1,
offert aux questions des thérapeutes familiaux ou familiales qui connaissaient ses travaux.Et puis... j'ai revu le jour où j'ai passé la porte des éditions Norton... DES EDITIONS NORTON. Vous vous rendez compte ?
Un "haut lieu de savoir",de savoir écritde savoir écrit en langue anglaisela langue du savoir écrit, de la science et de la technologie
Et ce jour-là, l'éditeur a décidé de me renommer. Comme on renomme les enfants des peuples premiers que l'on embarque au pensionnat pour en faire "des personnes civilisées"...
Et il m'a renommé "Maps". Cartes...
Exit les humains à qui s'adressaient les questions, les conversations, les espoirs. Je suis devenu un atlas, avec un sommaire. Du sérieux, quoi...
C'est ainsi que je vous accompagne depuis des années, dans vos découvertes des pratiques narratives.
Bien sûr, je suis toujours présenté comme "le-livre-de-synthèse-qui-ne-devait-pas-en-être-un". Comme celui à la refonte duquel David et Michael devaient s'atteler l'année où...
N'empêche que c'est sur mes pages bien propres que vous déchiffrez l'alphabet de la relation poétique et décentrée. N'empêche que mon titre véhicule l'idée d'une méthode, d'un processus, d'un guide qui permettrait d'avancer dans la jungle de la relation sans trop avoir à s'embourber dans des marigots oubliés. N'empêche que l'on parle parfois de la passion de Michael pour l'aviation, pour expliquer l'utilité des cartes vues du ciel2...
Silence. Réflexion. Gêne, un peu, peut-être.
Et pour moi, revient à ma mémoire des instants de légèreté, que j'invente peut-être. Des souvenirs d'une période où j'étais traité moins précieusement. Où des enfants, peut-être lassés de se glisser sous la chaise de Michael en consultation, dessinaient sur mes pages déchirées.
Bref. Cette ouverture de marcela, cette lecture de "qui la culture eurocentrée a fait de moi", l'air de rien, sans même savoir forcément ce qui se jouait (un titre, ça doit aider le lecteur à acheter, non ?) m'a bouleversé et déstabilisé. Mais cela m'a rappelé que parfois, rester le plus fidèle possible aux idées de déconstruction des normes, passe par quelques infidélités... aux points de références. Merci marcela, de m'avoir secoué.
Me voici donc un peu à poil, mais plus dansant.
Cette révélation m'a fait un bien fou.
Demain, que m'importe que vous m'appeliez "Maps", "Cartes des Pratiques Narratives", "le bouquin", "truc" ou "bidule". Souvenez-vous que je vous vends un rêve de papier : celui qui dit que tout serait simple.
Prenez-moi, et secouez-moi devant votre visage. Voilà... Vous le sentez, cet air qui vous caresse, comme la promesse d'une prochaine relation curieuse ? Cette fraîcheur d'âme émerveillée à la découverte de l'autre ? Cette odeur de papier ? Vous voyez mes couleurs ? Je vous apprends aussi ceci. C'est ce que marcela me permet d'ajouter à la plume de Michael..
A bientôt donc. Merci de m'avoir écouté.
Signé"maps" alias "cartes des pratiques narratives" alias "ne lisez pas seulement le langage de la science, de la technologie et de la raison" alias "il existe des connaissances qui ne s'écrivent pas et se dansent, se pleurent, se caressent, se tissent, se cuisinent, se cueillent" alias... .
Notes :
1 Je ne me souviens pas toujours de tout mais Catherine Mengelle saurait tirer le vrai de tout cela... Elle sait tant de nous, les ouvrages narratifs.
2 Notez que ce sont des cartes, pas des Rêves australiens de Genèse figurant par des points multicolores les tracés des grands mythes fondateurs...