Ils sont avec nous !

Un article de Martine Compagnon

Jules-Emile Zingg – 1936 – Repas de paysans, plus connu sous le nom de

confinement franc-comtois après un ravitaillement à la fruitière la plus proche pour "achat de produits de première nécessité dans les commerces autorisés"

"J'ai fait une tarte au flan. Le gâteau préféré de mon mari. Vous en voulez une part ?"

Ma voisine du rez-de-chaussée a raccroché. Nous nous sommes données rendez-vous à mi-chemin de nos étages.

La part de gâteau soigneusement enveloppée dans du papier alu ("je me suis bien lavé les mains !") s'est échangé en respectant le mètre de distance réglementaire.

"C'est la recette de la grand-mère de mon mari. J'ai dû chercher pour retrouver le même goût, mais il me dit que maintenant, cela y ressemble beaucoup…"

Et j'ai compris !

Je me suis rendu compte que depuis 2 semaines, confinée dans mon immeuble parisien, ce sont bien les recettes de ma région et de ma famille qui me reviennent. Celles que je ne fais jamais par manque de temps… les pâtes qui doivent lever, la crème à surveiller "c'est simple, elle doit napper la cuillère…"

J'ai compris que ce n'est pas seulement "parce que j'ai du temps" que je partage aujourd'hui avec mes voisins le pain aux œufs, la galette de ménage, la tarte au goumeau….

Non,

Je partage aussi aujourd'hui, le salut ancestral

  • De ceux et celles qui ont traversé les pillages, les invasions, la Guerre de Dix ans (version comtoise de la Guerre de Trenteans, les francs-comtois sont lents mais pas toujours), ses hordes de mercenaires allemands, la misère et le cannibalisme pour survivre, la peste, les tenants de la domination espagnole contre le pouvoir de Louis XIV demandant à être enterrés face contre terre pour ne pas voir les français fouler leur sol, les maquis, les otages de la Citadelle…

  • des ouvriers de mines et de forge, des ouvriers des Salines royales, des paysans taiseux, des horlogers d'hiver, des grévistes de LIP, des membres de coopératives laitières (les fruitières comtoises) des obstiné.e.s dur.e.s au mal, semblables aux chevaux comtois trapus et infatigables

Que me disent-ils, au gré de mes recettes d'antan ?

Qu'il est urgent d'attendre que "le leu" arrive pour crier au loup, que les fausses nouvelles font aussi des dégâts aux côtés des vrais virus, qu'il est important de garder la tête froide

Qu'il y a toujours eu une sortie aux périodes les plus noires, de celles où un monde semble basculer, de celles où les valeurs jusqu'ici reconnues perdent leur puissance…

Que les hivers les plus rudes font les bonnes gentianes, "racines du diable" que rien ne décourage !

Que la solidarité a toujours permis de traverser au mieux les moments les plus durs, qu'elle permet de garder confiance dans nos humains voisins, que pour un pilleur de paquets de pâtes, trois autres personnes partagent des gâteaux, font des courses pour le voisin, prennent des nouvelles, impriment des attestations en libre-service, offrent des rouleaux de PQ en libre-service sur le palier (véridique), laissent la porte ouverte et la lumière allumée pour les invités de demain…

Que l'on peut cultiver le sens de l'humour, de celui quifait répondre "on est tous chef" à l'envoyé qui demande à voir lechef, l'humour contre le destin, bien distinct de la moquerie ou de l'ironie….

Voici ce que me raconte mes recettes de famille, au cœur de mon confinement parisien.

Et vous, que vous soufflent vos ancêtres ? Que savent-ils de la vie dans les moments difficiles, qui peut vous aider aujourd'hui ? Comment s'y sont-ils pris pour "s'en sortir", afin qu'aujourd'hui, vous soyez ici, gagnant.e aux chances infinitésimales d'un loto génétique où 100% des gagnants ont vu leurs aïeul.e.s tenter leur chance ? En quoi ceci peut-il vous donner quelques idées pour vous faire du bien ?

MC

R'ssource : une animation sur un poème d'Albane Gellé


J'aime la phrase

'Mes arrière-grands-mères ont enlevé elles-aussi leurs épingles à chignon,

Et cela a fait un bruit très doux, un murmure de coccinelle…"

R'cette : la galette de ménage comtoise (recette gourmande pour garder le moral, hélas inadaptée aux vegans)

Pour deux tartes, une pour vous et une pour les voisin.e.s

Mélangez 2 œufs, 100 g de sucre, 12 c. à soupe de crème fraîche, 2 c. à soupe d'eau de fleur d'oranger, 2 dl de lait tiède. Ajoutez 500 g de farine, mêlée à 30 g de levure de boulangerie et une pincée de sel. Vous obtenez une pâte molle. Pétrissez et étalez (si possible à la main) dans deux moules à tartes bien beurrés et farinés. Couvrez et laissez lever 2 heures au moins dans un lieu tiède (un four préchauffé au minimum puis éteint fait l'affaire). Rabaissez ensuite le centre de chaque tarte du bout des doigts (cela laisse des petits creux qui feront ensuite, bien garnis de crème, le bonheur des gourmands) en gardant les bords relevés et gonflés afin de maintenir la garniture bien au milieu. Répartir le goumeau au centre de chaque tarte : un mélange de 10 c. à soupe de crème (ou du lait), 2 jaunes d'œufs et 10 c. de sucre (j'en mets moins). Enfournez 25 à 30 mn dans un four préchauffé Th 6/7. Surveillez pour ne pas brûler la garniture…

NB. Alors que cet article, comme la pâte de la galette franc-comtoise, était en train de lever, j'ai pu lire avec bonheur sur ce blog le témoignage d'Irène Rousseau, Tire Lire Lyre. Et j'ai souri à la synchronicité. Merci Giovanna et Irène de nous rappeler nos ressources présentes !

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