Tire-lire-lyre

Un article de Irène Rousseau.

Une photo de la Val di Rabbi, vallée de mon Grand-Père.

Apprentis praticien.nes, nous devions nous retrouver le 25 mars…
Notre groupe, "Les hellébores : la tribu des éclairés" a plié sous la bourrasque du COVID puis il a rejeté le VID pour retrouver de l'Oxygène.

Sous l’impulsion de Benoît, une idée a germé : rassembler une documentation narrative à partir des témoignages de personnes en confinement.
Aujourd’hui, identifier des trucs et astuces pour vivre au mieux cette période.
Demain, évoluer à partir de cette documentation vers autre chose de plus profond, sur le sens de confinement.
Demain, inspirer des personnes confinées dans leurs vie, physiquement, psychiquement, professionnellement…

Il y avait les "pots communs", les "kiss kiss bang bang" et autres leetchi…
Nous voici fabricants d'une tire-lire-lyre où déposer des piécettes qui tintent de générosité.
Que chacun tire, que chacun lise, que chacun interprète à sa façon le don commun pour en retirer un vrai bénéfice humain.

Pour contribuer, je viens de discuter longuement au téléphone avec ma mère, Giovanna, 82 ans, confinée seule à Grenoble.

Elle est originaire des Dolomites, en Italie du Nord.
Elle a grandi dans un village de montagne, non loin de la frontière autrichienne.
Dans ce village, sa famille a toujours été considérée comme marginale car mes grands-parents y sont des « étrangers ».
Ils sont "descendus" d’une vallée plus haute, très isolée. Un endroit perdu où l’on vit en autarcie l’hiver, coupés du monde par la neige. Un lieu de débrouille où ce qui prime c’est l’essentiel, la vie simple et sans fard.

Mars 2020
Giovanna écoute souvent la télévision italienne et elle a eu le réflexe de se confiner en même temps que les Italiens.
"Ma fille, c’est très grave ce qui arrive, m’a-t-elle dit au téléphone."
Pourquoi ce réflexe ? J’ai pensé à l’âge, à la peur et aujourd’hui, je me souviens des histoires de ma famille.

Maman m’a raconté à nouveau…

Je vous dirai si vous voulez.

Je vous dirai la grippe espagnole en 1918. Ma grand-mère confinée volontairement 40 jours avec sa petite fille de 4 ans.
Je vous dirai le départ des troupes autrichiennes en 1944 et le typhus, la fièvre jaune et l’épizootie.
Le village entier fut atteint sauf la famille de Maman, aucun des 9 enfants, aucune bête.
Je vous dirai les réflexes ancestraux. Empirisme, savoir populaire, dépassement de la peur individuelle au profit du collectif.

Aujourd’hui :
"- Maman, comment tu tiens ?
- J’ai reclassé tous mes albums photos en cherchant sur chacune le sourire de ceux qu’on ne voit pas bien. Quelqu’un qui est derrière un groupe, des sourires que je n’avais pas remarqués jusqu’à aujourd'hui.
Je cherche les détails vestimentaires… cette robe, ce vêtement que je portais, que tu portais, ou ta soeur ou ton père…
Je fais des mots croisés sans les solutions. C’est formidable, c’est beaucoup plus long de remplir une grille sans avoir les solutions mais on fait des progrès incroyables. Je cherche dans le dictionnaire.
Et je prie beaucoup, ça m’aide.
Hier une amie m’a appelée. Elle connaît un traiteur qui livre des repas pour gagner un peu sa vie. Elle m’a proposé ses services mais moi je ne veux rien qui vienne de l’extérieur ! Ce matin, je l’ai rappelée et je lui ai réglé deux repas pour un étudiant et un voisin qui tirent le diable par la queue."

82 ans, confinée… et c’est elle qui aide 3 personnes. Une bonne contamination !

Irène Rousseau.

Précédent
Précédent

Journal du deuil confiné

Suivant
Suivant

"Réhistoiriser" son souffle