La magie des conversations narratives...
... Ou comment la puissance d’un simple exercice narratif s’est propagée bien au-delà de ce que j’avais pu imaginer.
Par Vanessa Humphreys.
Je voudrais ici vous conter une histoire de t-shirts… ou même encore mieux, une histoire de forêts de t-shirts, d’armoires pleines de t-shirts …. Et là vous vous dites sûrement "mais qu’est-ce qu’elle nous raconte ???
"Revenons au début de l’histoire…
Je suis intervenue auprès d’une équipe qui était rongée par des relations conflictuelles, l’une d’elles et la plus récente s’étant manifestée par une déferlante d’agressivité et de mots insultants et même grossiers de la part d’une personne que j’appellerai ici Arthur. Après avoir beaucoup travaillé avec cette équipe sur l’expression du conflit et la remontée des émotions, ainsi que sur une charte d’équipe sur leurs valeurs partagées et ce qu’ils s’autorisaient dans leur comportement et communication, me voilà en conversation individuelle avec le catalyseur de ces derniers évènements : Arthur.
Lors de notre entretien (via un outil à distance, Covid-19 oblige), Arthur se décrit comme quelqu’un qui manque de confiance en lui, ne se sentant pas valorisé voire se sentant dévalorisé par ses collègues et par son manager. Je le sens très fragile à ce moment-là, proche des larmes et de la résignation. Le personnage agressif et vulgaire avait laissé sa place à un homme doux, fragile et en souffrance, ne voyant aucune issue positive à son problème.
Je propose donc à Arthur un exercice que j’ai appris en formation de praticien narratif : l’exercice du t-shirt. Mon intention ici est de permettre à Arthur de regarder ce jour d’une manière alternative, de l’aider à se revitaliser, en partant d’un moment agréable qu’il a récemment vécu. Notre conversation suit donc un chemin guidé par quelques questions que je pose à Arthur au fur et à mesure :
Y a-t-il un moment particulièrement agréable que tu as vécu récemment ?
Qu’est-ce qui était agréable précisément dans ce moment ?
Qu’est-ce que cela dit de ce qui compte pour toi dans la vie, de ce qui est précieux pour toi, de tes espoirs, de tes intentions ?
Je profite de notre conversation pour dessiner un beau t-shirt coloré spécialement pour Arthur, avec ses mots à lui, le colorant avec les couleurs qui me venaient tout au long de son récit. T-shirt que j’offre à Arthur, lui laissant bien le temps de le regarder sous toutes ses formes (pris en photo et partagé via l’outil à distance). Après quelques modifications de couleur guidées par Arthur, je prends une dernière photo de ce beau t-shirt parlant si bien de ce qui était important pour lui, puis nous continuons notre échange afin d’explorer ce maudit problème qui aimait tant réveiller et lâcher "Arthur agressif" sans que "Arthur"1 n’y puisse faire grand-chose pour le contrôler.
Six semaines plus tard, me voilà de retour auprès de cette équipe afin d’échanger avec eux sur les suites de notre travail collectif. Lorsque je lance l’outil à distance, je ne peux m’empêcher de me demander comment se sont passées les dernières semaines ; le conflit avait-il fait place à une collaboration plus saine ?
Quelle n’est pas alors ma surprise que de découvrir une forêt splendide de t-shirts colorés, une armoire remplie ! L’outil à distance que nous utilisons permettant de choisir une photo en arrière-plan, chaque membre de l’équipe avait rejoint la conférence arborant un t-shirt dessiné en "background". Ne comprenant pas ce que je découvre, un peu décontenancée et maladroite, j’hésite sur la conduite à suivre et l’audience commence alors à prendre la parole :
Arthur : Vanessa, suite à notre séance, je suis retombé sur la photo du t-shirt que tu m’avais offert et souhaitant m’excuser de mon comportement inadéquat auprès de l’équipe et surtout de Sylvia, je me suis dit que lui proposer cet exercice du t-shirt nous permettrait peut-être de repartir sur de nouvelles bases.
Sylvia : Quand Arthur m’a proposé ça, j’ai d’abord eu un peu peur, me demandant ce qu’il voulait. Il m’a alors montré le t-shirt que tu lui avais fait. Ça m’a rassurée et je me suis laissé guider dans l’exercice. Quelques jours plus tard, des petites bulles de joie et de chaleur me revenant dès que je regardais ce t-shirt, je proposais à Arthur que nous fassions l’exercice avec toute l’équipe.
Et c’est grâce à cela que je me retrouve ce jour splendide face à une armoire, une forêt de t-shirts colorés, harmonieux, joyeux, tous plus beaux les uns que les autres, l’équipe ayant décidé de m’accueillir avec leurs t-shirts en "background" de leur caméra.
C’est là que je me suis une fois de plus rendu compte de la puissance des pratiques narratives et de comment un simple récit ou une simple documentation poétique permet de mettre du sens dans notre vie et de nous revitaliser. Je partage cette expérience aujourd’hui, plusieurs mois après que ce soit arrivé, car j’étais curieuse de savoir l’effet dans le plus long terme que cela avait pu avoir pour cette équipe. Aujourd’hui, Sylvia a quitté l’équipe et l’une des premières choses qu’elle a faite avec les membres de sa nouvelle équipe est un exercice de t-shirts. Arthur et le reste de l’équipe ressortent de temps en temps leurs t-shirts, surtout quand ils ont un coup de mou. Ils n’ont pas refait l’exercice dans leur équipe mais Manon (membre de l’équipe) l’a fait au sein d’une association dans laquelle elle est bénévole et Éric l’a fait avec sa femme qui s’occupe d’adolescents décrocheurs. Aux dernières nouvelles, elle voulait l’utiliser avec eux.
C’est ici que je perds la trace des petites pousses plantées par ce premier t-shirt mais ne serait-ce pas amusant de se rendre compte dans quelques temps, au détour d’une conversation, que ce petit t-shirt a voyagé au-delà encore et atteint des contrées inexplorées et censées être inatteignables ?Le temps et les récits nous le diront…
1 J’utilise ici les noms qu’Arthur a lui-même utilisé lors de notre session, ne remplaçant que le prénom par souci de confidentialité. "Arthur agressif" qu’"Arthur" avait du mal à dompter.