La Fabrique Narrative

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Écoutons nos pochettes

Faire de l’Approche Narrative sans le savoir

Par Valérie Bisson


Je suis un peu comme Monsieur Jourdain : je fais de l’approche narrative sans le savoir. Si je sais faire certaines choses, je ne sais pas forcément comment je fonctionne. Avant de découvrir les thérapies narratives, les histoires me sont arrivées par nécessité, je les ai cherchées là où elles étaient. Et en musique, si possible. Depuis toujours, si je ne parviens pas à trouver dans la vie ce qui me convient alors je le fabrique, jusqu’à ce que naissent une forme, un récit… Une de mes histoires préférées étant sans doute celle que je me déroule depuis ma plus tendre enfance : joie des contes racontés et entendus, excitation des premiers déchiffrages de lettres formant des sons puis des mots, publication de poèmes et de dessins dans le journal de l’école, rédactions récompensées, premiers articles publiés, livres de commande distribués… Idem avec la musique, les tambourins de l’école maternelle me mettaient en transe, j’adorais chanter et les disques de mon frère, de dix ans mon aîné, ont rythmé dès mes 5 ans mes mercredis et mes week-end au son des Beatles et du Pink Floyd, mais ceci est une autre histoire.

Ces histoires préférées m’évoquent une matriochka qui s’ouvrirait à l’infini sur un monde toujours plus infime, plus détaillé, plus caché… Mon témoin intérieur m’a aidé à ouvrir bien des poupées avant d’arriver jusqu’à ce livre publié le 7 avril dernier et désormais disponible dans toutes les bonnes librairies. Écoutons nos pochettes, quand vos pochettes de disques racontent vos histoires, publié aux Éditions Densité, est le titre de ce livre-anthologie qui rassemble les récits de 33 (+3) auteurs autours de 33 (+3) pochettes de disques. Imaginé, souhaité et orchestrée par Gilles de Kerdrel, chaque récit est illustré par une photo de la photographe Carole Charbonnier, Pascal Blua en a tiré les lignes de construction et François Gorin en signe la préface. On trouve parmi ces récits celui du chanteur Dominique A, celui d’un des membres fondateurs des Inrockuptibles, J. D. Beauvallet, pour le club de vie de la fin de l’adolescence, ainsi que ceux d’une poignée d’auteurs confirmés (Valérie Tuong Cong, Lisa Balavoine, Hugues Blineau…) et d’autres en devenir… Gilles de Kerdrel fait lui aussi de l’approche narrative sans le savoir puisqu’il a eu un jour une idée de génie en se reconnectant à une de ses histoires préférée, celle que lui évoquait la pochette de Ratus Norvegicus des Stranglers. L’idée lui est venue de récolter de manière participative les récits fondateurs d’une vie inspirés par une pochette de disque, plus encore que par son contenu.

Gilles donne ainsi la voix aux membres d’un club très élargi, un club où chaque membre s'est un jour raconté une histoire en observant et en manipulant une pochette cartonnée carrée, l’étoffant en se laissant transporter par la musique qu'elle contenait. Chaque récit embarque un instant privilégié, nourri d'images fugaces, de sensations indélébiles et d'impressions sonores, souvent adolescentes, fragments préférés de nos histoires au long cours. Il existe autant de pochettes que de diversité identitaire, autant de disques que de possibilités d'enrichir son histoire, autant de résonances personnelles que d'écoute collective.

Bien avant de débuter ma formation à La Fabrique Narrative, je me passionnais déjà pour les histoires contenues dans la découverte de la musique, la construction identitaire élaborée grâce et avec la découverte de la musique dans toute sa diversité. Je suis certaine que nous avons tous dans notre besace narrative des histoires préférées autour d’un disque ou d’un morceau de musique. J’avoue avoir toujours trouvé dans la musique des réponses à certaines difficultés de la vie, avoir souvent chanté à mes amis des chansons pour illustrer des moments forts, avoir des airs plein la tête, de la ritournelle poétique aux riffs de guitare les plus dissonants… En 2018, je recroisais les pas d’un ami avec qui j’avais écouté des tonnes de disques pendant nos années d’études et je l’interviewais sur un projet autour de l’écoute, celui du récit de patients du centre d’accueil de jour l’Adamant, un hôpital psychiatrique mis récemment en lumière par le film de Nicolas Philibert récompensé à Berlin. Ce projet, intitulé la oueve, a vocation à donner de la voix à ceux qui sont exclus de la norme, ils sont invités à se raconter à travers leurs musiques préférées. Eux aussi font de l’Approche Narrative sans le savoir. Je réalise aussi, au moment où j’écris cet article, que passer des heures dans son salon à écouter des disques et à en parler a nourri ma qualité d’écoute, j’ai pu la développer, l’intérioriser et la transformer jusqu’à en faire le métier que je fais aujourd’hui. Lorsque j’ai découvert l’Approche Narrative, en interviewant Pierre Blanc Sahnoun, je savais que je rentrais à la maison. Celles des histoires préférées…

On étoffe un chemin que l’on se choisit. L’écoute et l’expression marchent certainement ensemble. Dans l’expression de soi ou l’accompagnement, l’espace de résonance qui se met en mouvement lors du re-authoring ou par le témoignage extérieur est un espace fragile, sensible, précis, accueillant. Le fragment qui interpelle dans une écoute disponible doit être conservé et enrichi par l’écoute technique, rigoureuse et nécessaire. C’est à partir de là que sonnera la justesse. Je suis heureuse de faire partie d’une œuvre collective qui fait sens et qui se célèbre lors de différentes cérémonies définitionnelles : lectures, rencontres, partage... En annonçant la lecture de mon texte à la Librairie du Monte en l’air à Paris le 26 avril dernier, Catherine Mengelle m’a suggéré d’en dire un mot. Voilà chose faite et je la remercie au passage. Je continue ainsi à défricher le chemin choisi en co-organisant la prochaine lecture d’Écoutons nos Pochettes qui aura lieu sur mon territoire strasbourgeois. « Il n’y a pas de hasard il n’y a que des rendez-vous. ».

Valérie