La Fabrique Narrative

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Ce que le Nénuphar doit aux Pratiques Narratives

Je ne savais pas, quand j’ai découvert le livre de Chloé, que son histoire en télescoperait à ce point une autre parmi mes proches narratifs. Je pense bien fort à vous deux et vous remercie du fond du cœur pour vos façons si dignes d’aborder les relations avec les nénuphars. Je pars demain assurer une formation  narrative à l’hôpital de jour d’hémato-oncologie de Périgueux ; j’y vais avec ton livre, Chloé. - Catherine Mengelle

Ce que le Nénuphar doit aux Pratiques Narratives - par Chloé Renault

En 2006, j’avais 22 ans et j’ai rencontré mon cancer. On a fait un bout de chemin ensemble : découverte, ablation de la tumeur, chimiothérapie, radiothérapie, effets secondaires, vivre avec, écrire la suite... Une route à multiples rebondissements. Et très tôt cette conviction : j'aimerais que personne n'ait à croiser un cancer dans sa vie. Ce serait le mieux. Mais si ce n'est pas le cas, je crois au pouvoir des livres, des mots et des dessins, au pouvoir des récits qui se disent et se partagent pour passer les tempêtes. De là est née l'envie d'écrire Le Nénuphar. Cela m’a pris 9 ans.

En 2015, le livre a pris son envol dans une première version où textes et dessins se répondaient. Une version artisanale et solidaire publiée en autoédition. Une version qui lui a permis de rencontrer ses premiers lecteurs…

En 2016, le livre a été édité par Marabout, dans une nouvelle version, encore plus belle, avec une préface de l’incroyable Martin Winckler. Un beau matin, le livre était là, disponible, dans toutes les Fnac. Et il y a eu encore plus de lecteurs, de rencontres et de belles conversations.

En 2017, je rencontre Pierre Clause qui m’invite à présenter le livre et le projet associatif qui l’entoure dans sa commune, et au passage m’encourage à découvrir les Pratiques Narratives, car, me dit-il, “Le Nénuphar est profondément narratif”. J'acquiesce poliment sans trop comprendre.

Enfin en 2021, je me forme aux Pratiques Narratives avec la Fabrique Narrative. Je découvre avec simplicité et joie cette approche et c’est comme une douce évidence. Comme une famille inconnue mais retrouvée; comme une langue familière que je retrouve.

Et nous voilà en 2022, je suis une ex-cancéreuse, une autrice, une dessinatrice à mes heures creuses, et une passeuse de gué et de transitions (et aussi une mère, une fille, une sœur et une facilitatrice, et nombre d’autres tenues qui me constituent une belle garde-robe). À l’invitation de Catherine, je vous écris pour faire connaître ce livre et contribuer humblement à nourrir ces pratiques qui nous sont chères.

Le Nénuphar, qu’est-ce que c’est ?

Le Nénuphar, c'est un carnet de route pour cheminer avec un cancer. Parce qu’un jour, cela vous tombe dessus : vous, un parent ou un proche se retrouve nez-à-nez avec un cancer… Bam ! Vous êtes embarqué sur une route accidentée et inconnue, pleine de mystères et de peurs. Je l'ai parcourue et j'en suis sortie convaincue qu'il faut donner des repères pour éclairer le chemin.

Le Nénuphar est là pour offrir de l'honnêteté, du chaud et de l'humour sur une route qui en manque terriblement. Avec des mots pour expliquer, accompagner, et témoigner. Avec des dessins pour dédramatiser, sourire et respirer.

Un livre pour soutenir des migrations identitaires

Faire la rencontre d'un cancer, c’est une expérience existentielle violente et douloureuse.

Et en prime, c’est un braquage de récit : c’est un kidnapping illégitime et inacceptable dans un discours dominant médical-centré, dont vous êtes bien plus l’objet que le sujet, où vous êtes étiqueté “la malade ou la patiente” (quand vous n’êtes pas juste “le dossier de la tumeur B23”). Un récit où des mots médicaux s'imposent à vous. Un récit où vous ne contrôlez pas grand-chose. Un récit insécurisant et dépersonnalisant comme une redoutable histoire à problème qui vient coloniser chaque parcelle de votre vie et vos interactions.

Vivre après et avec un cancer, c’est précisément se réapproprier ce récit et parvenir, au-delà du trauma, à raccrocher les fils de la vie. À retrouver les espaces de joie. À retrouver les fines traces de confiance. À poser d’autres mots et nourrir un autre récit, celui de mon histoire préférée, qui me rendra dignité et pouvoir d’agir ; celui dont je pourrai enfin me sentir autrice, femme debout. Un récit soutenant pour écrire la suite, pour oser aller dans le monde, pour accepter ce corps nouveau (accepter que “l’on ne descendra pas la montagne dans le même état qu’on l’a montée” me disait un jeune en rémission dans son fauteuil roulant…). Ce processus de reconquête narrative est essentiel, fastidieux, exigeant. Et puissant.

Le Nénuphar est là comme une interprétation sublimée de cette reconquête. Une matérialisation d’un récit alternatif qui cherche activement à soutenir les femmes et les hommes et leur permettre de tenir le fil de leurs histoires. Ce n’est pas exactement mon histoire ; c’est l’histoire d’une Chloé fictive (nourrie de tous les entretiens que j’ai faits en cours d’écriture avec des malades, des proches, des soignants, pour m’assurer de capter un gramme d’universel dans la singularité de ce récit-là). Une création narrative que j’ai remplie de ma profonde conviction militante que ce travail de reconquête de récit est impérieusement nécessaire.

C’est un livre qui se veut profondément influent et intentionnel. Je l’ai travaillé, poli et ajusté avec cette intention explicite de “faire du bien” sans gommer la violence de l'expérience, sans bisounours ou pensées lénifiantes. À hauteur d’une femme qui s’efforce, humblement et vaillamment, de rester debout dans la tempête. J’ai essayé dans la composition entre textes et le dessin mais aussi l'équilibre des pages de laisser de la place à l’humour et à la vie. De choisir de voir le soleil parmi les nuages, sans les omettre.

C’est un livre par lequel j’ai pensé le “malade”, le personnage principal de cette vaillante aventure, en relation avec sa “communauté”, dans ses relations et ses interactions sociales. C’est souvent dans ces relations que les mots piquent, les silences se glissent, les étiquettes immobilisent, les mots enferment. Le livre est ainsi non seulement destiné au malade mais également aux proches et aux soignants qui eux aussi cheminent sur cette étrange route.

C’est un livre qui accompagne comme un doudou mystique cet étrange rite de passage, que j’ai envie d’appeler “Traversée du Tropique du Cancer”. Plusieurs lecteurs m’ont raconté l’avoir emporté avec eux à toutes leurs chimio, l’avoir prêté à leur proche et même offert à leur chirurgien. C’est un livre pour le “pré-liminaire”, pour mieux comprendre ce qui s'annonce et esquisser ce parcours par trop mystérieux quand la peur et le choc sidèrent ; c’est un livre pour la traversée du chaos, qui agit comme une ancre positive douce-amère dans la machine à laver des traitements ; c’est un livre pour le “post-liminaire”, pour accompagner la mise en sens et en récit, quand rémission rime souvent avec dépression.

Poursuivre la conversation et l’histoire

Mon objectif est simple : créer les conditions pour que le Nénuphar puisse aider le plus grand nombre. Aujourd’hui, le livre n’est plus disponible dans les circuits commerciaux classiques. Il circule par des complices amicaux, relais avisés qui le font connaître aux bonnes personnes, aux bons moments. Je serai honorée que cette communauté contribue à sa douce diffusion.

→ Vous pouvez vous procurer des livres ici (https://www.helloasso.com/associations/les-amis-du-nenuphar/boutiques/je-voudrais-un-livre). La diffusion est menée exclusivement par mon association dont vous pouvez découvrir les actions ici (https://www.lenenuphar.fr/l-association).

J’aime aussi régulièrement intervenir auprès de futurs soignants (étudiants infirmiers ou médecins) pour partager mon parcours, discuter de nos écarts d’expérience et de perception et explorer comment, ensemble, trouver des manières de soigner plus paritaires ; comment faire du dialogue soignant-soigné un espace fécond ? N’hésitez pas à me dénoncer si vous connaissez une personne intéressée par ce type d’intervention. Vous pouvez faire suivre la vidéo de mon passage au Magazine de la Santé en 2016.

Si dans votre pratique, vous êtes aussi amené.e à accompagner ces réinventions identitaires post maladie ou autre, j’aurais plaisir à échanger ! N’hésitez pas à me contacter.

Merci de votre temps et de votre curiosité.

Chloé Renault, chloe.renault@gmail.com