La Fabrique Narrative

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Comment j’ai raté mon accréditation de coaching

Un article de Florence Guillerm.

Praticienne narrative depuis environ un an et demi, je suis formatrice depuis plus de vingt ans et j’ai aussi accompagné de nombreux groupes en coaching collectif, ainsi qu’une bonne douzaine de personnes qui m’en ont fait la demande.

J’ai mis du temps à faire la démarche de me présenter devant des pairs pour obtenir une accréditation qui donne plus de poids à mon expérience. En effet, je ne me sentais pas tout à fait légitime dans ce rôle et je l’ai fait sur les conseils d’autres coachs avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler.

Profitant du temps offert par cette curieuse période que nous traversons encore, je me suis finalement décidé à remplir un dossier d’accréditation d’une dizaine de pages que j’ai déposé auprès d’une des plus importantes associations de coachs dont l’esprit affiché me semblait à peu près compatible avec mon profil d’autodidacte.

Trois mois plus tard, je reçois un mail m’informant que mon dossier, étudié par un jury, est accepté à l’écrit et que je peux convenir d’un entretien pour valider certains points de ma pratique. Nous fixons une date et je me retrouve en visio devant une personne assez distante qui m’annonce très vite qu’elle n’est pas là pour me juger mais pour voir si ma pratique est en phase avec celle défendue par l’association.

Je comprends la logique du propos mais je ressens immédiatement un malaise car je m’attendais à une discussion entre pairs et que je me retrouve devant une sorte de posture très "sachante" qui ne facilite pas du tout les échanges et semble surtout préoccupée par le fait de cocher des cases. S’ensuit une série de questions sur des basiques liés au cadre comme l’entretien tripartite (très développé), les objectifs et la durée de la séance (que j’aborde volontairement d’une façon très souple, tout en soignant la demande) mais quasiment rien sur la relation et le cheminement du coaché jusqu’au fameux déclic qui sont, à mon sens, au coeur de la pratique. Au passage j’ai aussi le droit à un beau jugement de valeur sur mon côté rebelle car je ne me suis pas formée comme tout le monde (j’étais simplement supervisée par une coache expérimentée qui m’a donné de bonnes clés) et sur le fait que l’approche narrative, qui me convient tout particulièrement, est un simple outil mais ne peut s’apparenter à du coaching à part entière ! Je tente une explication sur la posture du praticien narratif qui pourrait aussi éclairer toute mon approche de l’accompagnement, mais je m’aperçois vite que le mur en face est beaucoup trop épais pour trouver la moindre petite fenêtre de compréhension.

L’entretien se termine avec le sentiment d’être passé à côté de l’essentiel et de n’avoir pas été entendue dans ma singularité, simplement jugée à un niveau particulièrement basique.

Par la suite je reçois un courrier m’informant que je n’ai pas obtenu l’accréditation et que je peux bénéficier d’un "feed-back" si je le souhaite.

J’en fais la demande afin d’aller au bout de l’expérience et nous convenons d’un deuxième entretien. La personne me semble cette fois beaucoup plus à l’écoute, elle me demande d’abord comment j’ai vécu la décision et si j’ai des remarques. Je lui dis franchement que je n’ai pas l’impression d’avoir été entendue sur l’essentiel mais que la décision, vue la teneur du premier échange, ne m’a pas étonnée tant j’ai eu la sensation de ne pas rentrer dans leurs cases.

Elle me répond alors que j’ai eu tout le temps de m’expliquer sur l’essentiel (encore une fois je ne fais pas les choses comme il faut !) et que le problème c’est le cadre, le manque de rigueur de ma démarche et mon excès de souplesse, que cela est dangereux. Je lui demande de préciser car le mot me semble fort, elle me parle alors de risque de "toute puissance" et me dit que lorsque l’on débute comme moi il faut s’en tenir à un cadre strict. Je réponds sur la posture narrative décentrée et influente qui protège de ce genre de dérive, je tente d’expliquer une nouvelle fois ma vision de l’accompagnement qui est avant tout une discussion, un cheminement où le coaché est au centre. Elle rajoute que je n’ai jamais évoqué la "réflexivité" nécessaire au travail du coach, je lui réponds que, pour l’avoir éprouvé, je crois surtout à la qualité de la relation et à la capacité de questionner en écoutant aussi son intuition et en laissant toute latitude au coaché qui est le seul à savoir où il veut aller. Elle me répond que comme je n’ai pas été formée au coaching, je ne peux pas comprendre d’où elle me parle.

Et là, en effet, je me suis mise à penser très fort à la "toute puissance", celle d’une posture de "sachant" du haut d’un système qui se veut également "tout puissant" et qui s’auto protège dans un "entre-soi" très confortable.

J’aime l’approche narrative car elle interroge les discours dominants et il me semble que le monde des coachs dans lequel elle s’est développée a également construit un système dominant qu’il serait utile de déconstruire car il phagocyte l’ensemble des démarches d’accompagnement dans l’entreprise.

J’ai donc raté mon accréditation et ne ferai jamais partie de cette communauté de "sachants tout puissants", un bien beau cadeau finalement qui me donne surtout envie de poursuivre sur la voie engagée depuis longtemps, en inventant aussi de nouvelles approches loin des dogmes et des chapelles :)